Liban

Les présidentielles libanaises, une démonstration d’immaturité politique

En octobre 2022, Michel Aoun, 86 ans, quittait le pouvoir après un mandat désastreux entre turbulences économiques, corruption généralisée, crises politiques, sécuritaires et blocages institutionnels à répétition. Les partisans et les adversaires de Michel Aoun se rejettent la responsabilité de ce qui est advenu au Liban.

Les premiers accusent leurs détracteurs coalisés de les avoir empêchés de mener les réformes nécessaires (alors qu’ils détenaient depuis des années tous les rouages du pays). Les seconds leur renvoient ces accusations et ajoutent que l’alliance entre le Courant patriotique libre (CPL), fondé par Michel Aoun, et le Hezbollah a porté préjudice aux relations du Liban avec les riches États du Golfe et miné ses chances de développement. On pensait que les législatives dénoueraient le nœud gordien des institutions politiques mais en dépit du succès des Forces Libanaises, l’absence d’union autour du plus grand groupe chrétien de l’Assemblée a contribué à maintenir en place tous les leviers de blocage solidement tenus en main par le Hezbollah. Candidat après candidat, entre septembre 2022 et janvier 2023, les ténors de l’opposition ne parviennent pas à passer la barre fatidique des 65 voix au premier tour. En filigrane, on devine le machiavélisme des uns et des autres qui envoient les « présidentiables » au casse-pipe, pour rester eux-mêmes le plus longtemps possible en lice…

De nouveaux poulains

C’est dans ce contexte que les derniers poulains en date, Jihad Azour pour l’opposition, et Sleiman Frangié pour le Hezbollah vont s’affronter mercredi 14 juin au Parlement. Ancien ministre des finances de 2005 à 2008, Jihad Azour est aussi directeur régional pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord au Fonds monétaire international (FMI) et en dépit du soutien momentané de plusieurs partis d’opposition et du Courant patriotique libre, il aura du mal à accéder au second tour. De plus, plusieurs responsables du Hezbollah commencent à clamer que la candidature de l’ex-ministre est une candidature « de défi et de confrontation» ce qui, dans la bouche de la milice chiite peut être lourd de sens, surtout depuis que le candidat a clairement exposé que « pour réaliser son ambition (sauver le Liban), il faut plusieurs éléments, et en priorité une indépendance totale des ingérences extérieures, la protection totale des territoires et de la souveraineté du pays, le retour à l’Etat et ses institutions, le respect de la Constitution et l’application exhaustive de l’entente nationale ».

En clair, la fin de la domination du Hezbollah. Du côté de Frangié, le retournement de veste de la diplomatie française qui entendait l’imposer contre la volonté expresse de toutes les formations chrétiennes lui a aussi fait perdre quasiment toutes ses chances de franchir la barre du premier tour. Une chose est sûre, le 14e président de la République libanaise ne sera pas élu le 14 juin mais l’un des deux camps sortira affaibli lorsque les vraies négociations commenceront et cette fois-ci, la communauté internationale ne semble pas prête à attendre ad vitam aeternam et Jean-Yves Le Drian sera à Beyrouth la semaine prochaine pour le faire savoir. Par ailleurs, en marge d’une réunion à Riyad consacrée à l’Etat Islamique, la ministre française des affaires étrangères a évoqué le dossier libanais et le changement de la France concernant la candidature de l’homme du Hezbollah – faisant perdre à ce dernier toute couverture occidentale- avec son homologue saoudien. Selon un diplomate saoudien, « Riyad attendait que la France reconsidère sa position, que beaucoup au Liban et à l’étranger considéraient comme une erreur, d’adopter la vision du tandem chiite au risque de marginaliser les chrétiens. ». Reste à savoir si la milice chiite, qui a la haute main sur les affaires du pays depuis 2016, est disposée à se laisser acculer et il y a fort à parier que les semaines et mois qui viennent verront le pays ébranlé par des secousses sécuritaires visant à faire plier coûte que coûte l’opposition souverainiste et la rue chrétienne.

Ce scenario catastrophe est presque à souhaiter car il obligera les uns et les autres à tomber le masque et l’état d’urgence pourrait précipiter l’élection d’un homme fort tel que l’actuel général en chef de l’armée, Joseph Aoun, aujourd’hui seul garant de la stabilité et de la sécurité du pays en proie au vide institutionnel. .

Sophie Akl-Chedid

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