Liban

Le Liban à la croisée des chemins

Mardi, alors que l’armée israélienne poursuit son offensive terrestre et aérienne contre les positions hezbollahi et les dépôts d’armes disséminés parmi les habitations du sud, de la Bekaa et de la Banlieue sud de la capitale, Benjamin Netanyahu s’est adressé dans un message télévisé aux libanais. « Chrétiens, druzes, musulmans sunnites ou chiites… Vous êtes à la croisée des chemins… Si vous ne libérez pas votre pays du Hezbollah, il vous conduira vers un conflit contre Israël plus grand, plus long et plus destructeur, comme à Gaza…Vous êtes devant une opportunité de prendre soin de l’avenir de vos enfants et petits-enfants, dit-il. Vous avez une opportunité de sauver le Liban (de l’emprise du Hezbollah)… Israël s’est retiré du Liban il y a 25 ans, mais c’est l’Iran qui a conquis votre pays », a-t-il ajouté.

« Je pose une question simple à chaque mère et à chaque père au Liban : cela en vaut-il la peine ? » a encore lancé Netanyahu dans une allusion à la décision unilatérale du Hezbollah de rejoindre la guerre de Gaza, le 8 octobre 2023, en soutien au Hamas, une prise de position qui a fini par entrainer le Liban dans une guerre totale sur son territoire depuis le 25 septembre dernier, provoquant l’exode d’ 1 250 000 chiites vers les régions chrétiennes , sunnites et druzes. Or, outre la guerre elle-même, ce déplacement de populations risque de bouleverser l’équilibre communautaire sur lequel le Liban évolue tant bien que mal depuis des siècles. Selon Hilal Khachan, spécialiste du Hezbollah et du conflit israélo-palestinien, « Le Liban repose sur de fragiles équilibres communautaires et politiques qui font qu’il doit rester un acteur neutre sur la scène internationale. Lorsque le président Camille Chamoun a voulu aligner le Liban sur les objectifs de Londres en rejoignant le pacte de Bagdad, une confrontation interne a éclaté en 1958. Lorsque l’Organisation pour la libération de la Palestine a voulu se battre contre Israël depuis le Liban, ce fut la guerre civile de 1975 à 1990. Aujourd’hui, le Hezbollah a aligné le Liban totalement sur les objectifs de l’Iran. Cela pourrait avoir les mêmes conséquences. » Si ce scenario reste dans l’ordre du possible, il ne prend pas en considération la volonté clairement exprimée d’une grande majorité de libanais de vivre en paix et de se détacher des visées iraniennes sur la région, une vision de plus en plus partagée au sein même de la communauté chiite qui commence à réaliser qu’elle sert de bouclier humain à un agenda qui lui est étranger et qui se sent abandonnée non seulement par la branche armée du Hezb mais aussi par son état-major politique, tous les députés du Hezbollah étant aux abonnés absents depuis l’élimination de Hassan Nasrallah. Ainsi ce témoignage recueilli ce matin même de la bouche d’un combattant du Hezbollah, vétérinaire dans la vie civile et jeune papa d’une petite fille de 3 mois, dont la maison a été soufflée il y a 3 jours par l’explosion d’un dépôt de munitions dissimulé dans son quartier d’habitations à Baalbek : « Je n’aurais jamais cru «  qu’ils » nous feraient ça ! C’est fini, je pars à (… une ville chrétienne) mettre ma femme et ma fille à l’abri ! »

Abandonnés à leur sort, les chiites libanais le sont et la république islamique d’Iran n’est pas en mesure de leur prêter main forte. Après avoir lancé sur Israël, sans succès probant, environ 180 missiles balistiques pour venger la mort de Hassan Nasrallah, la République islamique est entrée de plain-pied dans une guerre avec l’État hébreu qui n’a pas encore riposté, déployant à cette heure toutes ses forces contre les supplétifs de l’Iran avec deux succès spectaculaires, l’élimination d’Ismaïl Haniyeh, leader politique du Hamas, à Téhéran le 31 juillet et celle de Hassan Nasrallah et de son état-major le 27 septembre dernier à Beyrouth.

Vendredi 4 octobre, une première depuis 5 ans, c’est l’ayatollah Khamenei qui a prononcé le prêche à la mosquée Mosalla de Téhéran, affirmant que « la résistance dans la région ne faiblirait pas même après l’assassinat de ses leaders ». En clair, les Israéliens ont eu beau mettre hors de combat une grande partie de leurs effectifs, le Hamas et le Hezbollah continueront la guerre. Or, pour Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS spécialisé sur l’Iran, c’est comme si le bombardement du 1er octobre contre Israël était intervenu « pour solde de tout compte » : « Il fallait faire quelque chose pour sauver la face. Nasrallah était une figure essentielle pour l’Iran et le Hezbollah un fleuron de sa politique extérieure, un fusil braqué sur Israël. » Selon lui, la République islamique, qui affronte à l’intérieur une révolte populaire de plus en plus active, veut éviter à tout prix un conflit armé où elle se retrouverait confrontée à la supériorité militaire israélienne mais aussi « à la grande puissance américaine qui s’en mêlerait automatiquement ». A contrario, Clément Therme, chargé de cours à l’université Paul-Valéry de Montpellier, exprime pour le Figaro un autre avis : « La question israélienne a toujours été un élément central de la politique de la République islamique », dit-il. Pour lui, on ne peut pas compter sur la moindre reculade du Guide suprême et de son entourage. Quant à une volonté de dialogue avec les États-Unis, cet universitaire n’en voit pas le moindre signe. « Toute ouverture signifierait un risque d’effondrement du système et les mollahs en sont bien conscients. » Dans les deux cas, le sort de la communauté chiite libanaise ne figure pas dans les priorités du Guide Suprême en dépit des promesses, qui, comme on le sait, n’engagent que ceux qui les écoutent,

Gaza est dans le même cas, un document secret daté de janvier 2023 et rédigé par Yahya Sinwar, le chef du Hamas à Gaza, révélé par Benny Gantz, figure de l’opposition à Benyamin Netanyahou, dans une récente tribune du New York Times, montre que le responsable de l’organisation terroriste palestinienne avait reçu un engagement de l’Iran de se joindre à une attaque contre Israël quand le Hamas aurait lancé son offensive sur le territoire israélien. La suite a montré qu’il n’en était rien et que les seuls à servir de faire valoir à la « résistance » sont les dizaines de milliers de morts civils sacrifiés sur l’autel de l’intérêt des mollahs. Vaincu militairement à Gaza, sans soulèvement en Cisjordanie pour dévier l’effort de guerre israélien, sans doute échaudé par le sort de Hassan Nasrallah, Yahya Sinwar serait en train, ou aurait d’ores et déjà conclu un accord avec le gouvernement israélien prévoyant un éventuel échange d’otages du 7 octobre contre son exfiltration vers le Soudan où le gel de ses avoirs financiers – effectif depuis 3 ans- serait levé. Selon des confidences de sources israéliennes bien placées au Financial Time, Netanyahu ne serait pas opposé à un tel accord si toutefois cela signifiait la fin de la mainmise du Hamas sur la Bande de Gaza et à court terme la fin de la guerre. Enfin, les représentants des familles de captifs ont affirmé à des médiateurs Qatari que Sinwar « ne communique plus avec eux et qu’il a momentanément disparu du circuit (des négociations) », à cause de la politique des éliminations ciblées.

Dans ce contexte extrêmement difficile, il est évident que si les libanais veulent éviter, après l’effondrement économique du pays, sa yéménisation sécuritaire et humanitaire, ils doivent exiger, chrétiens, sunnites, chiites et druzes, la tenue des élections présidentielles le plus rapidement possible, le retour aux Institutions et l’applications des résolutions 1559 et 1701 des Nations Unies ainsi que la déclaration officielle par des autorités légitimes de la Neutralité du Liban pour le Bien Commun.

Charbel Bou Haddad

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