Quoi ? Qu’apprends-je ? Que vois-je ? De mes yeux vu la statue de saint Colomban dans la ville ! Pourquoi morbleu n’est-elle pas encore déboulonnée alors que le sujet pratique par son geste inconsidéré, stoïquement, le salut romain, olympique, de manière éhontée, bras droit tendu comme un piquet de soutien aux ramures de houblon, main ouverte et doigts joints. C’est bien simple, on dirait Rudolf Hess saluant le Führer sur le rallye de Nuremberg, mais avec en guise d’uniforme, une toge (accoutrement que Lino Ventura n’a jamais voulu endosser dans quelque film que ce fût. On lui avait proposé le rôle de Néron, il avait refusé en disant : « Vous me voyez vraiment avec une robe ? »).
Un exemple pareil, et ce geste honni ! En Allemagne et en Autriche, on vous fourre aux assises et au bloc, à l’auberge, au gnouf, à la cabane bambou pour moins que ça. Les Luxoviens, Comtois tranquilles dont on n’entend jamais parler sont aussi peu politisés que grandement policés, prompt à vous dire bonjour, même les tout jeunes dans la rue, tous bien décidés à vous accueillir avec bonté. Que n’ont-il remarqué cet affront, cette incartade. Qui ne dit mot consent. Et le maire, cet inconscient, ne pourrait-il pas prévenir par un mur sans aucune lamentation l’accès au public de si triste exemple ? Il faudrait lors des prochaines municipales, une liste woke et qui gagne afin de faire cesser le scandale et de mettre un terme dans la ville des thermes à ce débordement « haineux ».
Leur ancêtre un dieu gaulois
Cette ville-rue tranquille, tout à la fois gauloise, gallo-romaine, médiévale et renaissance à souhait doit son nom au dieu des eaux gaulois Luxovios qui avait pour épouse Bricta (ce qui signifie charme magique). Le sanctuaire thermal, ambassadeur des temps anciens, montre un cavalier portant une roue solaire, évoque Sirona, déesse celtique de la guérison associée à l’œuf qui donne la vie et au serpent qui donne la mort (pareillement au caducée de nos pharmacies, un des attributs du dieu Hermès). La racine indo-européenne luk signifie lumière, le nom de la localité est donc pré-existant à la conquête romaine, luk devenant lux et le nom de la ville daté depuis au moins le VIIème siècle sous la forme de Luxovium.
On y accède par le nord en passant devant l’hôtel « Cerise. Les Sources », vraiment recommandable; préférez l’option résidence à moins de cent euros par nuit, avec sa kitchenette tout équipée pour faire votre propre frichti en ce pays gourmand. Le bâtiment fait face coté rue à un hôpital monumental style néo-Louis XIII tout garni de mystère et d’ambulances muettes aux phares éteints. De l’autre côté, c’est le parc et les bains… Le jardin et la vue sont agréables, un ru chante entre les arbres (on compte dix-huit sources à Luxeuil) mais l’établissement thermal parait tout à fait austère et d’architecture classique en grès rose des Vosges. Il a été inauguré en 1768 sous le règne de Louis XV le Bien-Aimé, roi de France et de Navarre, membre de la maison de Bourbon comme il se doit.
L’allée des Romains permet de contourner le cœur de la ville par un chemin adjacent à la rue principale. Une grande statue appelée « Ex-Voto » nous rappellera l’héritage ancestral — du temps de saint Colomban, moine irlandais imbibé du christianisme celtique, les villageois mêlaient le paganisme aux nouvelles pratiques. La promenade commence sous des balcons rouilleux comme on en trouve à Plombières. Par suite nous ferons le chemin inverse afin de profiter de belles perspectives.
Soleils d’or
Le syndicat d’initiative comme on disait naguère en a pris une belle, d’initiative ! En balisant la commune d’un long sentier du patrimoine. Munissez-vous du plan de ville et suivez les soleils en bronze cloués sur le sol (invictus), ils vous indiquent la direction afin de vous emmener gentiment vers quelques quatorze sites remarquables dont la rue Carnot (Sadi ou Lazare ?), la tour des échevins (illustration), la maison du cardinal Jouffroy, l’abbaye Saint-Colomban, son cloître, la basilique Saint-Pierre-Saint-Paul et la maison du bailli.
Le soleil est notre emblème (refrain du chant de L’Oeuvre Française) comme Louis XIV était nostre roi soleil. L’astre figure en majesté sur le blason de Luxeuil.
Saint Colomban prônait l’ascèse et le jeune, jeûnons, jeûnons et déjeunons ! De bon matin, d’autorité, un petit déjeuner au lait mais pas au lit n’en déplaise à l’ami Pierre Dudan, au « Café Français », en terrasse, au cœur du quartier historique et pittoresque, face aux arcades. A midi, tentons le restaurant du casino dont le chef est un vrai camarade où, comme on dit en Italie, un « nostalgique ». A « La Pomme d’or », on trouve de la paletilla, soi-disant jambon Bellota, nous rappelant le temps où la Franche-Comté était espagnole comme dans les vers du père Hugo (« J’étais dans Besançon, vieille ville espagnole ») mais si le jamòn est bon, je ne patronne pas le restaurant. Quand viendra le soir, vous serez bien contents de vous être approvisionnés de bon pain à la boulangerie Drouhet (6 rue du docteur Gilles-Cugnier), de délicieux « soleils d’or » au chocolat et d’une spécialité salée goutteuse appelée « Tourbillon » (pain focaccia garni d’une confiture d’oignons, de jus de griotte et d’un peu de jambon de Luxeuil). On trouve dans les supermarchés d’excellents comtés vieux et croûtés ou tendres et fruités, presque floraux, indispensables à l’apéritif accompagné de jambon de Luxeuil et de canapés de pâté de foie maison. Il n’est pour ces spécialités qu’une seule et unique adresse qui vaille (Giromagny Vuillaume, 3 rue Carnot).
Franck Nicolle