Par un accès de gourmandise et tenu par la faim… Voulant me recueillir, invoquer les saints français (qui sont ceux de l’espérance, dixit Brasillach) et retrouver le nom, la teneur de nos vieilles provinces d’ancien régime, je me suis rendu dans un sanctuaire… de la consommation. Au supermarché pardi !
Comme c’est admirable, ça vaut dix ! disait ma mémé Devaux qui m’a fait réaliser à six ans mon premier roux, ma première béchamel, mon premier soufflé au fromage et mes premières fritures sous l’auspice impassible de pépé Raymond. En ce temps là, les supermarchés commençaient seulement à poindre, précédés par les révolutionnaires « libre-services » comme Prisunic (à deux pas littéralement du Gros Horloge et du beffroi de Rouen), quand s’est ouverte une sorte de « Super U », place du Vieux-Marché, à l’angle de la rue Cauchoise, vous voyez… elle s’obstinait à prétendre qu’elle allait faire son marché à la feue « Maison du savon » qui n’existait plus depuis des lustres sous ce nom. Elle achetait sa lessive « Saint-Marc », son amidon (destiné aux cols de chemises), son bleu de méthylène (afin de redonner de la blancheur au linge) chez un marchand de couleurs, 138 rue du Gros-Horloge (mais de l’autre coté de la rue Jehanne d’Arc). L’enseigne existe toujours depuis 1921, toutefois devenue Bobo. C’est la célèbre maison Deconihout, où l’on trouve quelques produits d’avant-guerre au prix d’après passage du franc à l’euro, c’est à dire exorbitant : savon de Marseille blanc ou vert, percarbonate de soude et tout un tas de fadaises, du rhum à la vanille, des vins fins, des crèmes de jour et des parkas estampillées UNICEF, des lampes ou des diffuseurs de parfum… Ce n’est plus un lieu populaire mais une farce et un attrape-touristes tandis que Rouen, cette bonne ville de Rouen comme disait Jean-Marie Le Pen au Parc des Expositions en 1985, reste comme tant d’autres métropoles à la fois visitable tout en demeurant habitable (référence gardée envers Rolland Barthès).
Le marketing de la particule
Chez Carrefour, une marque distributeur s’appelle non pas « Aspects de la France » mais « Reflets de France », c’est prometteur et vive le roi quand même. Chez Intermarché une marque distributeur s’intéressant aux légumes produits en France est connue sous le sceau de « Saint Eloi » (patron des mécaniciens des armées). Chez Leclerc on fait carrément référence aux expéditions militaires et hospitalières avec un label connoté « Les Croisés ». Cette entreprise de grande distribution propose du reste plus de cinq-cents références estampillées par une carte de France et un slogan qui est « Nos régions ont du talent ». Encore un effort, mon cher Edouard, pourquoi pas « Nos provinces ont du talent » ? Les charcuteries de cette enseigne sont proposées sous la marque Saint-Azay, bienheureux inconnu de tous au calendrier…
De fait on a pu lire dans les pages du journal Marianne, no. 972, 27 novembre 2015 : « Notre République vermoulue n’en finit pas d’expier son passé régicide et de trahir son inconscient féodal. Du camembert à la petite griffe branchée, du grand luxe à la pâtée pour chien, le signifiant aristo continue de faire rêver, et surtout vendre. » Il s’agit du marketing de la particule. Et ça marche ! Le petit peuple, au fond est réac. Et la cuisine tout autant. Elle s’accroche aux terroirs, plus forts que toutes les modes car la cuisine, comme disaient Colette et Simenon, c’est du souvenir. Les nouvelles régions déracinées, décidées par Bruxelles (Hauts de France, Grand Est…) ne font pas recette, ne sont pas séduisantes, n’évoquent rien. Les grandes marques agroalimentaires demeurent de facto les chantres intéressés de la continuité chrétienne et de la tradition, pour des raisons de gros sous. Ma foi, il arrive que le diable porte pierre. Et puis on connaît les déboires des marques ayant tenté le wokisme… Quand aux USA, un transsexuel émacié ayant été choisi pour être le nonce de la bière Budweiser; en moins d’une semaine, la valeur boursière de la maison-mère Anheuser-Busch InBev, sise à Saint-Louis en plein Midwest, a perdu 6 milliards de dollars.
Dans les campagnes et dans les villes de province, même encore aujourd’hui, le poids de la noblesse et du clergé légitimistes reste considérable dans ses appellations destinées à la clientèle la plus large et dotée d’un inconscient collectif, un « habitus » (pour parler comme Bourdieu) attaché à la tradition et même au retour à la tradition d’ancienne étiquette, d’une conviction naturelle, innée que n’auraient pas reniée Edmund Burke, Joseph de Maîstre, Louis de Bonald, Jacques Mallet du Pan ou, the last but not the least, Charles Maurras.
Même la Révolution n’est pas venue à bout de nos sacro-saints fromages de Saint-Nectaire, Pouligny-Saint-Pierre, Sainte-Maure de Touraine, Pont-L’évêque, Saint-Marcellin, Saint-Félicien, Saint-Paulin, anneau de Saint-Clément… Cette litanie est apparue insuffisante aux yeux des industriels laitiers au point de demander secours, comme les prêtres dont parle Jean Raspail dans son Camp de Saints à des béatifiés inventés ou sortis de la naphtaline, pareils à Saint-Loup (ouh-la-la), Saint-Agur, Saint-Moret, Saint-Huber connus comme le Port-Salut ou le Chaussée aux moines ! Quand il était en détention pour délit d’opinion, Vincent Reynouard appréciait un bon fromtogom de forteresse et d’infortune frappé du coin de « La vie de château ». Noblesse oblige !
Fromage et saucisson font bon ménage, un de ces derniers estampillé Saint-Agaune n’est pas mauvais du tout, maigre puisque à base de viande séchée préalablement comme il se fait dans le canton suisse catholique du Valais qui abritait le premier et principal séminaire de la Fraternité saint pie X, à Ecône, pas loin de Sion, capitale du Canton.
La Révolution Nationale, c’est le retour à la terre, travail, famille, tout ça… On cause, on cause. Vous préférez peut-être du jambon sans doute ? Fleury-Michon bien sûr ! Cette marque se déclare clairement familiale et vendéenne. Ce slogan, en plus d’être néo-pétainiste, sent la chouannerie à fond ! La boite a été créée en 1905, année mémorable de la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Un sandwich au jambon sans beurre, c’est comme un baiser sans moustache, un curé sans soutane comme il est dit dans le film anti-féministe « Calmos ». Toutes les bonnes marques de beurre se réfèrent à leur petite patrie, Normandie, Poitou, Isigny-Sainte-Mère. Et pour les indispensables cornichons, nous jetterons notre dévolu sur le cornichon BBR, le cornichon français !
Les produits bretons dans les supermarchés apposent sur l’étiquette l’hermine ou bien une carte du Finistère et un phare. Les douceurs normandes sont célébrées par un blason d’or sur fond de gueules comme peut l’être le « Cœur de Lion », qui s’inscrit dans la lignée du roi d’Angleterre Richard, duc de Normandie, duc d’Aquitaine, comte de Poitiers, du Maine et d’Anjou. Tous les produits d’Alsace apposent sur les emballages un bretzel identitaire sur décor Rot un Wiss. L’Occitanie brandit sa croix d’or sur fond de gueules et un ruban qui est aussi celui de saint Georges. Le pays basque sa svastika ou lauburu. La Savoie n’est pas en reste avec son écu de la maison de Savoie « de gueules à la croix d’argent ».
Les petites patries toujours vivantes
Les habitants de ces petites patries sont jaloux de leur identité comme le révèle une étude menée par l’université suédoise de Gothenburg qui a réalisé un sondage à grande échelle et donc scientifiquement représentatif. La question était : Europe, nation, région. A quelle identité les Européens se sentent-ils le plus attachés ? Résultat pour l’Europe de Bruxelles, zéro pointé ! Les Français en général préfèrent la France, mais les Alsaciens leur Elsass frei, les Savoyards leur « République du Mont-Blanc », les Bretons leur terre et mer (Ar Gouët & Ar Mor), les Corses leur île et leur drapeau à tête de Maure et les gens de Guyenne ou de Gascogne la Guyenne ou la Gascogne. Ne parlons pas des Basques, des Béarnais ni de l’affaire Dreyfus s’il vous plait.
C’est la revanche de la « Communauté » sur la « Société » et même la revanche de la « Communauté » par la « Société ». Un des pères fondateurs de la sociologie, Ferdinand Tönnies à qui l’on doit ces concepts, prétendait que l’on naissait dans la « Communauté » et qu’on entrait dans la « Société » comme en terre étrangère (Gemeinschaft und Gesellschaft. 1887). De fait, il ne saurait y avoir de communauté internationale, c’est un oxymore dont pourtant la presse de grand chemin subventionnée nous rebat les oreilles chaque jour que le bon Dieu fait. On n’est plus à ça près. Oublions ces infamies et buvons donc un vin d’alsace Saint-Landelin qui n’est pas sans lendemain qui chante. Ou un coup de grands crus bordelais Saint-Estèphe, Saint-émilion, Saint-Julien.
Quand nous serons en Bourgogne et en Franche-Comté, ce sera qui qu’en grogne le temps de festoyer de Nuits-Saint-Georges, de Saint-Aubin, de Saint-Romain ou de Saint-Bris. L’eau ne fait rien que pourrir le poumon dit la chanson, mais j’ai le palais qui sature ! Un coup de flotte, vite ! A moi Auvergne ! Fidèle à la devise du chevalier d’Assas : Saint-Yorre, Vichy Célestin, Rozana (au plus haut des cieux), Saint-Géron, Sainte-Marguerite, Saint-Diéry. Au secours San Pellegrino pour terminer notre affaire avec des pâtisseries de saint Honoré, saint Epvre, sacristain, saint Germain, des conserves de fruits en salade Saint-Mamet et pour finir un café Royal (très bonne maison : cafe-royal.com) et des galettes Saint-Michel ! Debout les paras, tous au foyer !
Franck Nicolle