polar

Lys Noir et Rouge Gorge

Le 31e roman policier de la désormais renommée collection du Lys Noir ne restera sans doute pas parmi les chefs d’œuvres des « polars » de langue française. Georges Simenon n’a pas de soucis à se faire : le dénommé A.C. Duchaux, auteur de L’Ecrou mystérieux, titre de ce 31e opus, ne risque pas de le détrôner à la Pléiade !

Il n’empêche que ce roman, pour modeste qu’il soit (82 pages, en format Lys Noir) n’est pas inintéressant, et ceci pour plusieurs raisons. La première raison, c’est le fait qu’il s’agit de l’un des romans policiers qui parurent pendant la dernière guerre, dans une collection intitulée « Rouge Gorge ». La revue Réfléchir et Agir a publié l’année dernière une étude sur cette collection dont il est très rare de dénicher des titres. Les rééditer ne peut que réjouir les collectionneurs et les amateurs de curiosités de la période 39-45.

La France rurale de la zone NONO

Ce titre-ci, L’écrou mystérieux, a-t-il été publié en 1943, comme le suggère une étude en ligne sur la collection « Rouge Gorge » ? Il se déroule entre La Châtre, Châteauroux et Argenton-sur-Creuse, c’est-à-dire dans le sud du Berry, plus précisément dans l’Indre. A l’évidence l’auteur connait bien ce coin de France, qui était encore parcouru par de petites lignes de chemin de fer, et où c’était une aventure que de « monter » à Châteauroux, la préfecture, dans ces années-là.

Rappelons que le département de l’Indre se situait en zone libre (ce que nos grands-parents appelaient la zone NONO, pour « zone non occupée »). Toutefois la ligne de démarcation longeait quasiment la limite ouest et la limite nord du département. Il en fut ainsi jusqu’au 11 novembre 1942. C’est ce jour-là, à la suite du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, que les troupes du Reich envahirent les 40% de notre territoire restés sous autorité française.

Le roman décrit un univers qui était plutôt celui en vigueur en zone NONO, dans cette France rurale et pétainiste où la guerre ne semblait guère tourmenter les habitants, ce qui devait d’ailleurs correspondre à la réalité. Et les Allemands sont totalement absents.

Certes l’approvisionnement alimentaire tient une place importante dans les préoccupations de chacun mais les actions terroristes sont encore quasiment inexistantes (une vague allusion dans le roman, à des velléités « terroristes »). Les Français ne semblent pas divisés, comme ils le deviendront progressivement, au fur et à mesure de la progression des Alliés et du raidissement des engagements, d’un côté comme de l’autre. Apparemment le livre a été écrit alors que la zone NONO existait encore, même s’il a été publié en 1943.

Rien sur la franc-maçonnerie, depuis Les cigares du pharaon

C’est donc un roman d’atmosphère, pas un roman d’aventure. Il y a une aspect assez kitsch, dans cette histoire, avec le rôle des méchants » tenu par des affiliés à la franc-maçonnerie, mais sans que l’auteur cherche vraiment – et c’est dommage – à tirer parti d’un thème sur lequel il y aurait pourtant tellement à raconter, qui pourrait donner matière à tant de romans, avec pour le coup des accents de vérité ! L’allusion maçonnique se limite en gros, ici, à une breloque représentant une équerre et un compas que perd l’un des bandits du récit, en s’enfuyant.

Sur ce plan, à part Les Cigares du pharaon, d’Hergé, il faut bien reconnaitre que le secret maçonnique, la pompe et les rituels maçonniques, ses crimes, parfois aussi, n’ont guère inspiré les auteurs de romans et de BD. C’est un domaine qui reste à explorer, pour faire le bonheur des adeptes de la littérature d’épouvante. Le Lys Noir serait bien avisé de créer une sous-collection spécialement dédiée à ce genre, s’inspirant, pour l’ambiance, des enquêtes de Léon de Poncins. Succès garanti !

Notons enfin que, dans L’écrou mystérieux, plusieurs des gangsters sont juifs, juifs tendance Joanovici, à voir les combines auxquelles ils se livrent pour tirer parti du marché noir, même s’ils peuvent, à l’occasion, se transformer en tueurs. Mais l’auteur – si le livre a bien été écrit avant 1942, voire à partir d’un canevas antérieur à la guerre, selon certaines thèses – n’a pas pu s’inspirer de l’histoire de Joanovici, puisque ce dernier n’a accédé à la notoriété, au statut de « héros » pour le moins ambigu, qu’à partir de 1942.

Francis Bergeron

L’écrou mystérieux, par A.C. Duchaux, collection Lys Noir, n°31, juin 2025

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *