Dans la foulée du rapprochement entre Riyad et Téhéran initié par Pékin le 10 mars dernier, la visite du ministre des affaires étrangères saoudien à Damas le 18 avril est un pas de géant vers la normalisation des relations entre Damas et les pays de la Ligue Arabe.
De toute évidence l’Arabie Saoudite de Mohammad Ben Salman désire ouvrir une nouvelle page régionale en duo avec les très dynamiques Emirats Arabes Unis dont le développement économique fulgurant, repose, outre sur les revenus pétroliers, sur une politique d’ouverture aux investisseurs étrangers, le tourisme de luxe, le développement technologique et bancaire. Le projet de MBS est clair : à l’instar des EAU, il veut transformer le royaume wahhabite en État moderne capable d’attirer les investisseurs et les cerveaux étrangers autant que les touristes. C’est le projet Vison2030 qui vise à faire de l’Arabie un leader incontournable du commerce international et la principale plateforme d’échange entre l’Afrique, l’Asie et l’Europe. Pour arriver à ses fins Riyad a impérativement besoin d’une sécurité intérieure et d’un environnement régional stable, ce que manifestement la protection américaine ne peut plus ou ne veut plus lui assurer comme en témoignent les frappes de drones iraniens sur deux sites pétroliers d’Aramco en septembre 2019. Avec l’évolution galopante des alliances géopolitiques globales, MBS s’est rapproché de la Russie et de la Chine mais aussi de l’Iran avec en filigrane le règlement de la question yéménite, au grand dam de Washington qui voit d’un très mauvais œil la perte de son influence sur son ‘protégé’ de toujours avec notamment le refus de Riyad d’augmenter sa production de pétrole pour faire baisser le prix du baril et la neutralité saoudienne affichée dans la guerre en Ukraine.
Pour tenter de reprendre la main, le chef de la CIA, William Burns, s’est rendu au début du mois d’avril à Riyad pour y rencontrer MBS, rapidement suivi par le coordinateur du Conseil américain de sécurité nationale pour les affaires du Moyen-Orient et par le sénateur Lindsey Graham qui, selon des sources diplomatiques saoudiennes, ont tenté de dissuader l’Arabie de se réconcilier avec le régime syrien, s’attirant une fin de non-recevoir catégorique de la part des autorités saoudiennes. En effet, si le président syrien n’est pas convié au prochain sommet de la Ligue Arabe en raison du refus du Qatar, de la Jordanie, du Koweït, du Maroc et de l’Égypte qui estiment que Bachar Al Assad n’a pas donné les gages nécessaires à sa réhabilitation, ce dernier est tout de même attendu à Riyad dans les prochaines semaines tandis qu’une nouvelle réunion de la Ligue doit avoir lieu à la demande expresse de MBS pour remettre sur la table le retour de la Syrie dans le giron arabe sous couvert d’un certain nombre de conditions comme la recherche d’une solution politique à la crise syrienne pour créer les conditions appropriées à une réconciliation nationale et au retour des réfugiés et des déplacés, l’arrêt de l’exportation massive du Captagon vers les pays du Golfe et la mise en place d’une base de négociation concernant la crise libanaise. Enfin, du côté de l’opposition syrienne, ses derniers espoirs de peser sur une résolution politique du conflit s’amenuisent de jour en jour depuis le mardi 18 avril et la visite du prince Fayçal Ben Farhan, le chef de la diplomatie saoudienne, à Damas, la première d’un haut responsable du royaume pétrolier depuis le déclenchement de la guerre civile en Syrie en 2011. Pour Aaron Lund, expert de la question syrienne au centre de réflexion Century International, « c’est une victoire pour Bachar Al Assad. (…) Il s’est montré patient et entêté, il n’a rien cédé et, finalement, il n’aura pas eu à le faire, si ce n’est peut-être quelques concessions ».
Sophie Akl- Chedid