Une heure avec Bruno Le Maire

Quand Xavier Eman, le rédacteur en chef du Nouveau Présent, a accepté ma proposition de collaborer à son journal, j’ai bien compris que ce qu’il appréciait chez moi – outre mon sex appeal, bien entendu –, c’était d’être la petite-nièce de Mathilde Cruz qui fit les beaux jours de Présent dans les années 1980, avec ses fameuses chroniques de télévision.

J’ai relu la collection de Présent de mes parents – très bien reliée par des religieuses d’un couvent tradi – pour voir comment tante Mathilde avait procédé pour s’incruster dans le paysage rédactionnel. En fait il n’y eut aucun chichi. Dès le numéro 0 du 22 novembre 1981, un article était signé Mathilde Cruz, sans annonce préalable ou avertissement d’aucune sorte. Il s’agissait d’un coup de colère (le premier mais pas le dernier !) de tante Mathilde contre la publicité d’État, à la télévision, en faveur de la contraception. L’article était titré : « Et maintenant voici la télé-pilule ». Mon premier article est titré : « Une heure avec Bruno Le Maire ». Un sujet assez différent, mais un tête-à-tête d’une durée suffisante pour piquer, moi aussi, un sacré coup de colère.

Dans la bibliothèque de Mathilde Cruz, on trouve les quatre tomes de la célèbre chronique de Frédéric Lefèvre (1889-1949) : « Une heure avec ». Celui qui dirigea Les Nouvelles littéraires pendant un quart de siècle passait une heure en compagnie d’un écrivain, et nous restituait la quintessence de leur conversation en quelques feuillets. Tous les grands noms de la littérature de l’époque ont ainsi été passés à la moulinette avec lui : les cathos comme les athées, les conservateurs comme les révolutionnaires, et une belle brochette de futurs épurés de 1944. Quelques noms ? Barrès, Pierre Benoit, Béraud, Bernanos, Henri Bordeaux, Alphonse de Chateaubriant, Chesterton, Claudel, Cocteau, Colette, Courteline, Dorgelès, Drieu la Rochelle, Farrère, Étienne Gilson, Max Jacob, Mac Orlan, Mauriac, Montherlant, Maurois, Maurras, Morand, Maritain, Massis, Pourrat, Ramuz, et des dizaines d’autres. Je vais reprendre le flambeau pour Le Nouveau Présent, et vais commencer la série de mes « Une heure avec » par Bruno Le Maire.

Tête ronde et peau de vieux bébé, mais la séduction du pouvoir

Mais j’entends déjà certains lecteurs me poser la question : avez-vous réellement passé une heure avec Bruno Le Maire ? A-t-il accepté de consacrer une heure de son précieux temps à discuter avec la journaliste d’un hebdomadaire nettement orienté à droite, et même à la droite de la droite ? Non, certes. Ce que Le Maire accorderait à n’importe quel média de gauche voire anarcho-bobo, on peut être certain qu’il le refuserait à un magazine comme le nôtre. Il le regrettera peut-être un jour : j’aurais mis pour l’occasion un body blanc léger, voilant à peine mes formes que l’on dit agréables, un pantalon noir cintré, pincé à la taille, et montant assez haut. Je ne suis pas petite (1 mètre 70), mais je sais que mes Louboutin me donnent une silhouette à la Lady Di. Je le lis dans le regard des hommes que je croise. Sur ce terrain, nous, les femmes, n’avons pas trop à craindre de Bruno Le Maire, c’est un garçon qui se tient bien avec les dames. Et réciproquement car son visage un peu poupin de premier de la classe, tête ronde et peau de vieux bébé – aujourd’hui à cheveux blancs, forcément –, n’est guère excitant. Mais il a toutefois la séduction du pouvoir.

Bruno Le Maire a une libido tout à fait classique (est-ce à cela qu’on reconnaît l’homme de droite ?). Il a d’ailleurs eu le bon goût de nous la faire partager dans l’un de ses livres, Le Ministre. C’est d’ailleurs l’ouvrage (pas exactement un roman) qui a suscité le plus de commentaires. Sarkozy, par exemple, a reconnu que c’est le seul de ses livres qu’il ait lu. Le Maire, en vacances à Venise avec sa femme, y racontait les gâteries que lui faisait cette dernière, dans la baignoire de l’hôtel. Pas de quoi fouetter un lecteur de Sade ou de Sacher-Masoch ! Pas de quoi non plus faire de Le Maire un écrivain, même si ce genre d’exhibitionnisme littéraire est à la mode, aujourd’hui.

Mais il est certain que, pour préserver notre dignité de femme, il vaut mieux passer une heure avec Le Maire (ou Macron) qu’avec leurs amis Darmanin, Strauss-Kahn, Hulot, Damien Abad, Denis Baupin et j’en passe. À croire d’ailleurs que plus ils sont laids, plus ils mettent le paquet pour nous « séduire ».

Je n’ai donc pas passé physiquement une heure avec Le Maire, mais j’ai passé bien plus d’une heure à lire ses livres, à relire ses interviews, à analyser son bilan.

Il faut d’abord se souvenir que Bruno Le Maire est issu de cette grande bourgeoisie engagée à droite, catholique. Sa mère est une Fradin de Belâbre, ce qui indique une origine charentaise, et de milieux aisés. Quant à son épouse, elle est née Doussau de Bazignan, d’une famille du Sud-Ouest, landaise, connue pour des engagements à droite, voire à l’extrême droite.

Tout pour plaire : province, bourgeoisie, argent, le tiercé gagnant pour un public de droite respectable. Bruno Le Maire a accumulé les clichés « de droite » le concernant. Libération le décrit généralement comme un « catho coincé qui ne rate jamais un déjeuner dominical en famille », appartenant à « une droite corsetée par un déterminisme social et gaullien », « quelqu’un de très contraint, bridé par son origine sociale ».

Sur le plan des idées, dans son domaine de responsabilité, qui est l’économie (il est ministre de l’Économie depuis cinq ans), il passe pour un « ultra-libéral ». On sait que l’ultra-libéral, selon la définition classique, brevetée France Info et autres « sévices publics », c’est celui qui, en économie, cherche des solutions ne passant pas systématiquement par une augmentation des impôts, par un développement de l’assistanat, par une croissance exponentielle du secteur public via l’embauche de fonctionnaires ou des nationalisations.

Ces orientations, pour ne pas être vraiment communisantes, ne sont pas pour autant « ultra-libérales ». Mais en accolant le qualificatif d’ultra-libéral à tout homme politique cherchant à réduire la pression fiscale et à limiter l’étatisme, la gauche et l’extrême gauche visent à freiner ou empêcher la désocialisation du pays. C’est la vieille technique du terrorisme intellectuel, qui transforme en postfasciste, voire en fasciste tout court, le patriote, en complotiste l’auditeur qui ne prend pas pour argent comptant la propagande de France Info, en intégriste celui qui ne danse pas de joie en lisant les statistiques sur l’avortement et les « avancées » euthanasiantes.

La défaite de l’intelligence, le recul de la civilisation

Le Maire était donc l’homme censé symboliser le « en même temps » de droite au sein de la macronie. Je ne vous ferai pas l’injure de chercher à vous démontrer que le « peuple de droite » a été trompé ou a accepté d’être trompé, une fois de plus, mais avouez que la tromperie sur la marchandise est évidente !

Concernant les thèmes sociétaux, Le Maire s’est rangé très vite du côté des « progressistes ». Il n’a certes pas été le seul. Cette défaite de l’intelligence, ce recul de la civilisation a atteint la droite tout entière, y compris le RN, où les îlots de résistance peuvent légitimement se sentir menacés en interne, et elle a même atteint l’Église. Que Le Maire n’ait pas cherché à s’opposer au mariage homo n’avait donc rien d’étonnant. Mais cet abandon en rase campagne des positions de défense de la vie et de l’ordre naturel et chrétien, il l’a fait contre son milieu d’origine, en particulier contre sa propre mère, engagée au sein de l’Église, et qui avait été notamment directrice d’écoles catholiques.

Restait le domaine économique. Après tout, un mauvais défenseur de la vie et du mariage hétérosexuel peut faire un bon ministre de l’Économie, non ?

Mais cinq années de Le Maire à l’économie et aux finances sont loin de nous avoir convaincus de la qualité de sa gestion, de la pertinence de ses intuitions, de sa capacité à libérer l’économie de son carcan socialiste, en bref de ses compétences.

Notre taux de « croissance » est spécialement faible, notre balance commerciale est dans le rouge. La réindustrialisation, ce serait des éoliennes partout, un plan de suppression des véhicules thermiques sans anticipation des conséquences. Les baisses d’impôts se sont limitées au remplacement de l’ISF par un impôt sur l’immobilier ; les Français étaient les plus imposés de tous les habitants des pays développés de la planète, nous restons, cinq ans plus tard, parmi les plus collectivisés. Entre 2017 et 2022, la dette du pays est passée de 98 % du PIB à 113 %. « Après cinq ans d’administration Le Maire, l’État contrôle désormais plus de 62 % de l’économie (part des dépenses publiques dans le PIB) », notait un site économique de sensibilité conservatrice. Ce qui est certain, c’est que le secteur privé représente désormais moins de 50 % de l’économie du pays. Ce n’est pas la renationalisation d’EDF qui va inverser la tendance !

L’inflation est à 5,6 %, les carburants et autres sources d’énergie ne cessent d’augmenter alors même que, du fait de conditions climatiques exceptionnellement clémentes, la consommation d’énergie est plus faible qu’habituellement. Je sais, je sais, c’est la faute à Poutine. Un peu facile comme explication !

Le chiffre mensuel des faillites a doublé

Le pouvoir d’achat des Français, les capacités d’investissement des entreprises sont déjà affectés par ces chiffres qui accélèrent toujours plus notre collectivisation.

Les solutions de Le Maire sont simplistes : distribuer l’argent public pour tenter un maintien au moins partiel du pouvoir d’achat, et créer un nouvel impôt visant les entreprises, par une nouvelle taxe sur leurs profits. Les entreprises se gaveraient de superprofits, paraît-il. Pourtant, qui dit superprofits dit superimpôts, puisque les impôts sont calculés (notamment) sur les profits. Simultanément Le Maire oublie (?) de nous parler de la vague de faillites qui frappe présentement les entreprises françaises. Le chiffre mensuel de faillites a doublé depuis octobre 2020 (environ 4 000 par mois, actuellement), et le mouvement s’accélère. De ce fait, le chômage pourrait bien reprendre sa progression. Une faillite de l’État français, façon Argentine, Liban ou Zambie, n’est plus à exclure.

Bruno Le Maire a indiqué à Macron que, après le ministère de l’Économie et des Finances, il se verrait bien à la tête du Fonds monétaire international. Si ses vœux se réalisent, on peut supposer que Le Maire, dirigeant du FMI, ne sera pas trop sévère avec Le Maire, ancien pilote de l’économie française. C’est l’intérêt du job. •

Madeleine Cruz

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