Terroir

Table d’hôte : Présent en mars et ça repart !

C’est le mois où le germe sort de terre, le mois des crocus, des lapins et des giboulées… Le temps de mars rend fou ! Il vente, il pleut dru puis voici le grand soleil. Il fait froid, il fait chaud… On ne sait plus quoi boire ! Où plutôt si ! La bière de mars (non , ce n’est pas la boisson des extra-terrestres). Cette boisson est prisée par Mait’ Jean Mabire, par Georges Simenon et son commissaire Maigret, beaucoup moins par notre Marine nationale qui, bien qu’élue du Ch’Nord, préfère le vin blanc.

Ce délicieux houblon, à boire et à manger

La bière est l’ambassadrice printanière des provinces d’Alsace, de Lorraine, de Champagne, de Flandre, de Hainaut et d’Artois. On trouve ainsi les premières traces de ce breuvage floral (houblon) dans les archives d’Aras (1394). Cette bière spéciale est produite en quantité limitée, faiblement alcoolisée (entre 4,5° et 5,5°) et de couleur ambrée. Buvons donc (avec modération) et chantons pour fêter le printemps et les retrouvailles : « Chez les Flamincs, Boirons la bière et le vin, Comme pain blanc, Sont demoiselles de Brabant. » (La cavalerie bourguignonne). C’est le temps des garennes et de Beorc (le bouleau), symboles de fertilité chez les anciens peuples des forêts. Dans l’edda poétique scandinave, il est écrit que le bouleau ne porte pas de fruits mais des chatons, c’est l’arbuste au plus vert feuillage, son ample couronne touche le ciel. Les aulnes, les saules et les noisetiers forment aussi ces chatons, fleur mâle qui va bientôt se couvrir de pollen sur quoi viendra se poser au gré du vent une fleur femelle.

Le houblon se plante en ce moment, c’est un végétal vivace à croissance très rapide. On le cultive dans les pays du Haut-Rhin qui répondent aux jolis nom, d’Outre-forêt, d’Alsace bossue, Pays de Hanau, d’Haguenau et Kochersberg. Comme c’est une plante grimpante, on l’accroche comme on pendrait son linge, et sa culture modèle les paysages d’une nature singulière et agréable. On dirait des guirlandes de végétation maintenues par des perches de sept mètres. Du rhizome surgissent des jets qui sont délicieux à déguster (la cuisson se fait comme pour les asperges, à la vapeur ou dans de l’eau bouillante salée). Le houblon a des vertus apéritives et toniques connues depuis l’antiquité chez les Egyptiens et les Babyloniens. Comme c’est un cannabinacée (et oui…), on devra le goûter avec sobriété, d’autant plus que c’est, avec l’asperge, un puissant diurétique. En Allemagne, aux Pays-Bas où en Belgique, ces turions peuvent se vendre à plus de 1200 € le kilogramme, ce qui en fait très certainement un des légumes les plus chers du monde.

Lapin chasseur et lait de printemps

Les premières asperges (blanches) que l’on trouve proviennent des Landes. La douceur du Val de Loire si cher à nos rois facilite l’arrivée précoce des asperges vertes et pourpres dites de Chambord. Elles étaient appréciées à la cour sous les sobriquets les plus charmants : Légume royal, printemps (capétien) en tige ou ivoire à mange”. Louis XIV persécutait ses jardiniers pour en obtenir dès le mois de décembre. Il se les faisait servir en entremets, à la sauce douce c’est à dire à la crème. Fontenelle et André Castelot les préféraient « à la flamande », c’est à dire au beurre fondu constellé de brisures d’œuf dur. Les asperges d’Alsace (Hoert, Lampertheim, Horbour-Wihr, Rhinau) et aussi d’Argenteuil sont un peu plus tardives. Leur calibre est élevé (ce qui facilite la corvée d’épluchage) et leur saveur délicieuse. Les restaurants de la province les proposent à qui mieux-mieux « aux trois sauces » ou aux « trois jambons ». La sauce mousseline est ma préférée. Il suffit d’incorporer de la neige de blanc d’œuf à de la mayonnaise — ci-devant et successivement mahonnaise, mayennaise et bayonnaise suivant le crédit que l’on apporte aux différentes théories, évidement complotistes, concernant son étymologie.

Le lapin est un mets succulent, gibier que l’on classe en cuisine avec les volailles. Il est apprécié sous forme de paupiettes (pourdebon.com), de pâtés (lamigeon.fr), de sauté, en brochettes et bien sûr à la “royale” ! Que les partisans du Comte de Paris escorteront d’Orléans AOC tandis que les légitimistes feront sauter les bouchons des bouteilles de jolis vins d’Anjou dont le col est toujours fleurdelisé (Saumur-Champigny frais par exemple).

Le très sulfureux Jean-Robert Courtine — ami de Simenon (controversé), d’Albert Simonin (vichyste) et de l’inénarrable Henry Coston (son préfacier) — qui a collaboré pendant quarante ans au journal Le Monde sous le nom de La Reynière, nous livre à travers son Cahier de recettes de madame Maigret une recette de sauté de lapin mais surtout celle du lapin de chou farci que le commissaire divisionnaire accompagne de Saint-Pourçain, vin bourbonnais et vin des rois (cave-saintpourcain.fr). Marthe Daudet préconise le civet de lapin chasseur qu’elle considère comme un plat national. Ce que femme veut, Dieu le veut et tout ce qui est national est nôtre ! On découpe le lapin et l’on fait sauter les morceaux avec du beurre, de l’échalote hachée, des épices, sel, poivre du moulin, de l’estragon, vin blanc et champignons.

Si les fromages sont si bons en mars, c’est que prés sont reverdis et que les bovins et caprins se délectent d’herbes fraîches au lieu de fourrage sec et monotone. Le lait de printemps est plus gras, plus riche et plus aromatique. Nous jetterons notre dévolu sur les pélardons, les cabécous, les fromages de Touraine, du Poitou et de Normandie, mais aussi de coulommiers, de maroilles, d’époisses (le fromage préféré de dame Pécresse, vous en souvenez-vous ?) et surtout de vachelin comtois ou Mont d’or parfumé d’essence d’épicéa, qui ne peut-être fabriqué qu’entre le 15 août et le 15 mars pour pouvoir n’être commercialisé , exclusivement, qu’entre le 10 septembre et le 10 mai. On peut l’attaquer à la cuiller ou le faire fondre, badigeonné de vin blanc et parfumé de hachis d’échalotes, au four dans sa boite. Mais le plus joli des fromages de saison reste la tomme aux fleurs de montagne qui nous vient du Tyrol (laboxfromage.fr).

La première fraise pour le Nouveau Présent

En ces temps de carnaval (la semaine dernière à Vittel par exemple), on confectionne des merveilles, des bugnes, des beignets nature ou aux pommes en attendant les premières fraises (je mentirais en disant que celles du Maroc ne sont pas bonnes). Ma grand-mère avait l’habitude de faire un vœu lorsqu’elle mangeait sa première fraise ; faites-en autant et longue vie au Nouveau Présent !

Franck Nicolle

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