La une du numéro de printemps de Livr’arbitres est consacrée au dossier sur la littérature prolétarienne qui nous est proposé par la rédaction. Dans la mesure où le prolétariat a désormais largement basculé dans le camp patriote (d’où les efforts de la gauche pour trouver chez les migrants, spécialement les islamistes, un prolétariat de substitution), il était spécialement intéressant de se pencher sur ce sujet. D’autant que, quand on parle littérature, il n’y a plus ni gauche ni droite, comme disait souvent Léon Daudet (certes, c’était avant le wokisme…).
En 1990, une étude conséquente sur la littérature libertaire était parue chez Albin Michel (1). Mais la littérature libertaire, ce n’est pas exactement la littérature prolétarienne. Livr’arbitres rappelle la définition précise de ce qu’est la littérature prolétarienne selon Henry Poulaille, à l’origine, en France, de cette tentative de créer un courant littéraire spécifique Il imagina en effet, en 1930, un Groupe des auteurs prolétariens. Poulaille définissait l’écrivain prolétarien comme un auteur issu du monde ouvrier ou paysan, autodidacte ou boursier, témoignant dans ses écrits des conditions de vie du prolétariat. Toutefois, ces conditions furent ensuite assouplies pour pouvoir y incorporer des auteurs « bourgeois » écrivant et agissant pour la défense du prolétariat.
Le courant littéraire Poulaille défendu par Poulaille se situait à l’extrême gauche, mais globalement du côté des anarchistes et pas des communistes. Il est d’ailleurs paradoxal de constater que la figure de proue de la littérature prolétarienne est sans doute Jean Giono, qui connut la prison pour pacifisme, la prison pour collaboration, et fit même l’objet d’une tentative d’assassinat de la part de staliniens. De même il est intéressant de rappeler que Poulaille fut édité par Valois, pilier de L‘Action française des années 1020, puis fondateur du Faisceau, premier parti fasciste français.
On connait aussi la passion d’un Michel Ragon pour le drame du peuple vendéen lors des guerres républicaines de Vendée. Cet écrivain régionaliste, Livr’arbitres lequalifie de « chantre de la littérature prolétarienne ». Aristide Leucate, dans l’article qu‘il lui consacre, rappelle au passage que Ragon écrivit dès 1953 un essai sur « les écrivains du peuple », qui est l’une des premières tentatives de recenser les écrivains répondant à la définition de Poulaille.
Raymond Abellio fait évidemment partie de la cohorte des écrivains prolétaires , et Livr’arbitres lui consacre aussi une rubrique. Mais Leucate regrette à juste titre que le sociologue Jacques Valdour ou la philosophe Simone Weil ne figurent pas dans ce type de recensions, au motif officiel qu’ils avaient tous deux une origine bourgeoise (2).
Vous l’avez compris : ce numéro de 168 pages de Livr’arbitres (chez Patrick Wagner, directeur de la publication, 36 bis rue Balard 75015 Paris ou via livr-arbitres@outlook.fr, 45€ l’abonnement pour 4 numéros) est très riche et passionnant. Un second dossier, consacré à l’Auvergne littéraire, mérite aussi le détour, Vialatte et Pourrat en constituant les vedettes obligées.
Agathon
- Histoire de la littérature libertaire en France, par Thierry Maricourt
- Simone Weil est rapidement évoquée dans L’Histoire de la littérature libertaire, mais le nom de Jacques Valdour, par exemple, n’apparait jamais dans les recensions. Ce sont sans doute ses idées catholiques et royalistes qui lui valent cet ostracisme.
« Envoi de Poulaille à Henri Sellier, sur son roman prolétarien, Le train fou. Henri Sellier, ministre du Front populaire, fut maire de Suresnes jusqu’en mai 1941 (coll. F.Bergeron) »