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Entretien avec Gérard Wurtz, auteur de De l’aventure à l’oblature

Entretien avec Gérard Wurtz, auteur de De l’aventure à l’oblature

Propos recueillis par Fabrice Dutilleul

Gérard Wurtz: « Grand reporter à Paris-Match, directeur de l’agence de presse photo Sygma, rédacteur en chef du Figaro Magazine… »

Vous avez été un témoin privilégié de nombreux événements importants du XXe siècle… Lesquels vous ont particulièrement impressionné et pourquoi ?

Il y a les importants, tel le Printemps de Prague en août 1968 ou encore, en 1965, ma rencontre avec André Malraux, au pavillon de la Lanterne, dans le parc du château de Versailles, un ancien pavillon de chasse avec piscine et court de tennis, utilisé comme résidence d’État de la République… et les plus « étranges », comme la rencontre avec un étrange personnage, Rémy Bricka, qui s’est présenté à mon bureau. Je le connaissais pour son disque d’or d’homme-orchestre, son vrai métier : il réussissait ce tour de force de jouer de 15 instruments en même temps, grâce à un assemblage complexe qu’il portait sur ses épaules Nous sommes au printemps 1988 et il a un projet qui me laisse pantois : traverser l’Atlantique en marchant sur l’eau. Interloqué, je l’emmène au restaurant pour en parler. Le bonhomme est très attachant, sa vie passionnante. Il me convainc d’autant plus facilement qu’il pense partir sans eau ni vivres. Rémy Bricka veut d’une certaine manière rééditer l’exploit d’Alain Bombard. Au sein de l’agence, je suis le seul à y croire, malgré les rires. L’homme-orchestre finit par réaliser son rêve de fou. Il marche pendant deux mois et près de 6 000 km, entièrement seul, chaussé de skis-flotteurs, tirant derrière lui une capsule de survie, où il dort, pêche et distille de l’eau de mer. Un funambule de l’écume est né.

Vous avez collaboré à de nombreux titres prestigieux de la presse française, côtoyé journalistes et hommes de presse renommés… Quel regard portez-vous sur les médias actuels et comment expliquez-vous la défiance de plus en plus grande des Français envers le monde journalistique ?

Voici quelques exemples dont j’ai été l’instigateur qui expliquent la défiance du public pour la presse écrite. Dès l’année 1973, s’opère un tournant, le journaliste devient plus important et plus narcissique que ce qu’il écrit. C’est le règne de la futilité et de la marchandisation à outrance de la presse magazine. Ne reste que le sexe, la magnificence, l’argent et l’esbroufe. Je sais de quoi je parle, pour avoir été l’acteur de cette noria, qui va de la presse jusqu’au monde publicitaire. Un exemple ? Les fashion-weeks où certains photographes se font une notoriété artificielle en choquant, au mépris du beau et du vrai. Le voyeurisme et la vulgarité sont un vecteur de célébrité. L’avènement du numérique et de ses trucages (Photoshop notamment) achève de tuer le reportage, le photoreportage authentique, voire la conception de la photographie : des écrivains comme Jack London ou même Émile Zola, au-delà de leurs talents littéraires, ont été de très bons photographes. Tout le monde « smartphonise » et « selfise » à tort et à travers. C’est une arme de destruction massive pour la création et le talent. La photographie a perdu sa signification. Elle n’est plus qu’un instrument de « com ».

Donnez-nous un exemple…

En 1976, je crée mon journal Jockey Dernière un 1er avril, ça ne s’invente pas ! La France accueille déjà un grand nombre de travailleurs immigrés venant d’Afrique du nord. D’où le projet de ce journal, avec mes amis Jean Taousson et Jean Rigade, ancien patron de Jours de France et grand joueur devant l’éternel qui finira ruiné. On se décide pour un quatre pages bicolore vert et blanc, puisqu’il est adressé principalement à un public issu du Maghreb, une série de pronostics pour le tiercé, le foot et la boxe, sous forme de rubriques illustrées… et en page 4, une fille à poil ! L’imprimerie au plomb est rue du Croissant. Nous manquons de chroniqueurs. Nous en inventons un – « Tonton Marcel » – que Jean Taousson, dit « Dindin », dessine avec écharpe et chapeau, en sosie de Marcel Dassault. Cela me vaudra une convocation au commissariat du IIe arrondissement, Marcel Dassault ayant porté plainte pour injure et diffamation.

Au Fig-Mag, on se met au goût du jour pressé par les annonceurs. À ma grande satisfaction, le journal se décontracte. Il doit toucher un public plus large que la bonne bourgeoisie nantie et installée. Il est donc décidé de le saupoudrer de « sex and sun », en suivant une ligne éditoriale convenable mais aguichante. Elle prend prétexte du tourisme en Méditerranée, en voilier de croisière, barré d’une main experte par Florence Arthaud, avec un reportage à chaque étape. Le titre de la chronique « Cinq filles sur un bateau ». Cinq filles en minibikini, qui font escale dans différents ports. On s’éloigne à grands pas de la nouvelle droite et des controverses cathos.

Et cerise sur le gâteau ; Bhopal, une catastrophe chimique, en Inde, dont le bilan frise les 25 000 morts. Pour traiter « Bhopal et Union-Carbide », je propose une « Une » spectaculaire. Ce n’est pas moi qui décide, mais Louis Pauwels, qui se fait livrer les épreuves sur son lieu de vacances. À l’époque, il est en pleine conversion, mais « toujours sur le parvis », comme il dit. J’ai construit la « Une » grâce à un procédé de transmission par satellite que nous avions mis au point du temps de Sygma avec Hubert Henrotte, avec l’AFP, à l’occasion des Jeux de Mexico en 1968, à destination du supplément hebdomadaire de France-Soir. J’avais ainsi la primeur des photos, le jour du bouclage. La une et l’article paraissent nous sommes n° 1 en « paris surface » Conséquence périphérique, le journal perd le budget publicitaire des piles UCAR. Je suis viré en juin 1985 avec Marie Caroline Le Pen, Christian de la Mazière et Jean des Cars.

Vous avez longtemps cherché votre chemin spirituel ; aujourd’hui, vous êtes oblat à la FSSP… Considérez-vous votre quête spirituelle passée comme du « temps perdu » ou celle-ci, au contraire, vous a-t-elle enrichi et permis de trouver la bonne direction ?

Dieu agit comme bon lui semble. Je dirai que ma carrière dans les médias n’a pu se faire que par ma constante quête spirituelle, étant autodidacte, parce qu’elle m’a enrichi et permis d’éviter une mort prématurée et comme disait mon épouse peut-être « la prison ». Pour conclure, je suis entré dans le monde de l’information uniquement pour l’aura que l’on pouvait y acquérir sans diplôme et le potentiel infini d’aventures réelles ou imaginées ainsi que pour accéder au pouvoir de l’argent et à tout ce qui en découle : train de vie, femmes, voyages et souvent le goût du risque et pour finir le pouvoir. Quant à l’éthique de l’information je n’en avais que faire.

Le premier choc spirituel fut cet entretien avec Georges Habache, en 1970, en Jordanie, pendant le « Septembre Noir », avec la complicité de Vick Vance, reporter et intime du « petit roi » Hussein de Jordanie. Dans un lieu tenu secret, avec mille précautions, yeux bandés et véhicule opaque ; je découvre cet homme d’apparence douce, modeste, chaleureux, charismatique et sans compromission. Tandis que mon confrère l’interviewe et que, discrètement, je fais mes photos, je suis surpris par la présence d’un crucifix en bois d’olivier, derrière son bureau. J’apprendrai plus tard de cet homme à la violence idéologique sans limite, né en 1926 à Lod, en Palestine, d’une famille arabe chrétienne qu’on peut être terroriste et avoir la foi.

Le second qui m’a profondément marqué c’est en Inde à Pondichéry durant mon périple pour Katmandou, Auroville, étape indispensable qui depuis longtemps m’obsède comme tous les soixante-huitards et l’ashram de Sri Aurobindo.

En 1996, je reçois une invitation envoyée par « Notre-Dame de Chrétienté », à l’occasion de la célébration du 1500e anniversaire du baptême de Clovis à la cathédrale de Reims. Je suis VIP, au premier rang. La cathédrale est bourrée à craquer, des hommes d’Église en tenue d’apparat, des scouts, des étendards, une chorale comme j’en rêve, et l’orgue ; ce sera un tournant. Ce Dieu que j’ai mis au placard est face à moi. Le retour à la maison se déroule sur un nuage. Les gens ont peur du sacré et se protègent de tout, acceptent une vie médiocre pourvu qu’elle soit confortable.

La conversion est l’œuvre de Dieu, c’est un appel auquel on ne peut résister. Comme disait Adolphe Retté, célèbre converti, dans Du diable à Dieu, « nous voyons notre misère et le néant des joies perverses où nous nous complaisions ». Les années qui suivent sont des années de réflexion et de prière. Je fréquente divers monastères, Solesmes, haut lieu du grégorien, Fontgombault, Randol, où Michèle et moi passons un émouvant Noël, suivi des 1 600 km de Saint-Jacques-de-Compostelle, Sainte-Marie de Lagrasse, juste après sa restauration, avec d’étonnants chanoines, Rieunette, ressuscité en 1998 au fin fond des Corbières par les courageuses petites sœurs de Cîteaux. Je prie au monastère bénédictin de Saint-Paul à Wisques en pays de Flandres où je suis Oblat.

De l’aventure à l’oblature, Gérard Wurtz, Éditions Dualpha, 355 pages, 35 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.

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