« Levez-vous orages désirés, chantent les casseroles ! », a psalmodié le 20 avril un Jean-Luc Mélenchon toujours aussi lyrique en intimant à ses troupes de multiplier contre Emmanuel Macron les « casserolades » inspirées selon lui de la crise argentine de 2001. Quand ça l’arrange, le brillant historien que prétend être le conducator de La France insoumise a visiblement la mémoire qui flanche.
D’Alger à Santiago, concerts de « dispositifs sonores portatifs »
Car ce n’est pas dans l’Argentine dévastée par la hausse vertigineuse du dollar et contrainte de se déclarer en cessation de paiement qu’on a entendu les premiers concerts de casseroles — celles-ci désormais baptisées « dispositifs sonores portatifs » par le ministre Darmanin, qui en interdit l’usage — mais, à partir de l’automne 1960, dans l’Algérie française soulevée contre « le bradeur De Gaulle » et où chacun, dans la rue ou de sa fenêtre, rythmait ainsi tous les discours radiodiffusés du Guide ou de ses ministres.
Dix ans plus tard, les concerts reprirent, mais cette fois au Chili, contre Salvador Allende et son régime d’Unité populaire cornaqué par le Mouvement de la Gauche révolutionnaire (MIR) qui, en imposant les plus folles mesures économiques (nationalisations et réforme agraire), avait ruiné le pays et provoqué la disette. D’où la « révolte des ménagères » qui, pour clamer leur désespoir, de la frontière péruvienne à la Terre de feu, sortirent en 1972 leur batterie de cuisine, organisant chaque soir un boucan de tous les diables. Ces mêmes ménagères qui, le 11 septembre 1973, applaudirent au golpe du général Pinochet (1), auxquelles elles restèrent fidèles par-delà son départ de la présidence en 1990. Lors de son retour au pays en mars 2000 après maintes péripéties judiciaires, Augusto Pinochet ne fut-il pas accueilli et fêté par des dizaines de milliers de Chiliens se pressant sur la route de l’aéroport à son domicile ? Après son décès le 11 décembre 2006, plus de 60 000 personnes défilèrent d’ailleurs pour lui rendre hommage dans la chapelle ardente dressée dans le hall de l’école militaire de Santiago, entouré d’une garde d’honneur de 8 cadets.
Algérie française ou Chili, ces précédents sont de droite, sinon d’extrême droite, et Mélenchon le sait parfaitement. Mais ses partisans — comme, semble-t-il, les journalistes — l’ignorent, et il est bon de leur rappeler les priorités.
Camille Galic
(1) Ce coup d’État fit deux jours plus tard une victime à Paris : l’hebdomadaire Rivarol, très hostile aux milices chiliennes d’extrême gauche. En représailles, un engin incendiaire fut jeté par une lucarne dans la salle d’archives et le feu menaça l’immeuble très vétuste abritant le journal (ainsi d’ailleurs que des familles maghrébines). Si le pire fut évité, des archives inestimables disparurent, noyées sous les lances à eau des pompiers. Les auteurs de l’attentat ne furent jamais identifiés.
Merci à Camille Galic pour cet éclairage qui vaut pour le XXe siècle.
À noter que ces « casserolades », déjà pratiquéees au XIXe siècle en France, s’inspiraient du charivari médiéval. Il serait d’ailleurs certainement possible de remonter à une origine encore plus lointaine, dans la Grèce ou la Rome antique.
Aujourd’hui, les manifestations de Gilets jaunes, par exemple, participent ainsi d’un vieux fonds culturel qui évoque irrésistiblement « l’armée Brancaleone » du cinéma italien des années 1960 (avec Vittorio Gassman).
En tout cas, comme le dit très bien l’article, la gauche n’a pas le monopole des casserolades, même en Amérique latine !