J’ai passé l’âge ? Et alors ? Je viens en effet de recevoir en service de presse la 38e aventure du clan des Bordesoule qui s’adresse à des enfants de 8 à 12 ans : Le secret de la forêt de Paimpont. Je reconnais que je l’ai lu, comme les 37 autres, ce qui n’est pas sérieux.
Une telle lecture me ramène aux années 1990. J’étais alors une petite Madeleine Cruz d’une dizaine d’années à peine. Ma tante Mathilde m’emmenait souvent, le mercredi, au siège du quotidien Présent, rue d’Amboise, au métro Richelieu-Drouot. Elle allait voir l’oncle Brigneau, et pendant qu’elle papotait avec ce cher oncle à la moustache rugueuse, je faisais le joli cœur auprès des journalistes.
Celui qui m’amusait le plus était un barbu blond-roux nommé Alain Sanders. Sanders, qui avait installé une sorte de tente camouflée au-dessus de son bureau, me racontait des histoire dont je ne comprenais pas grand-chose, mais il me couvrait toujours de cadeaux. Il m’offrait en particulier des livres du « Clan des Bordesoule ». C’est à cette époque que j’ai pris l’habitude de lire ces aventures de quatre cousins aventureux. Sanders me faisait de grandes dédicaces qui prenaient toute une page. L’auteur de ces romans en était le plus souvent Francis Bergeron, et c’est d’ailleurs pourquoi j’ai longtemps pensé que Sanders et Bergeron étaient une seule et même personne.
Sanders me gavait de bonbons, aussi, tandis que ma chère tante refaisait le monde, avec ce vieux bougon affectueux de Brigneau, dans la cuisine du journal. Sanders écrivait son article tout en me racontant des histoires rapportées, disait-il, d’Afrique ou du Vietnam. D’autres collaborateurs pointaient alors leur tête : Jean Madiran, Serge Dalens, ou encore Pierre Durand, Bernard Antony, bien d’autres encore, dont j’ai découvert le talent multiforme bien plus tard. Un dénommé Lionel Poilâne apportait parfois des pains tout juste sortis du four. C’est là que j’ai pris les meilleurs petits déjeuners de ma vie.
Le sentiment que j’étais une privilégiée
Ces aventures du clan des Bordesoule, je les ai lues et relues. A l’époque elles n’étaient pas très connues, me donnant le sentiment que j’étais une privilégiée. Mes copines lisaient des « Chair de poule », des histoires policières pour enfants, censées nous faire peur, ou encore Roald Dahl, et les courts récits de la collection « J’aime lire ». Moi, je battais la campagne, menais des expéditions en bateau, explorais des souterrains, mais uniquement avec le Clan des Bordesoule.
Ces lectures m’ont tellement marqué que je n’ai jamais cessé de me faire offrir puis d’acheter moi-même, tous les romans, au fur et à mesure de leur parution. Effectivement entre 1988 et aujourd’hui, il en a été publié une quarantaine, et aujourd’hui je constate, avec une petite pointe de dépit, il faut le dire, que beaucoup d’enfants connaissent maintenant cette série, alors que, de mon temps, je me croyais détentrice de clés me permettant de gagner un royaume imaginaire où je me trouvais presque seule.
Mais tout ce que je vous raconte ici ne fait pas une critique de livre. Aussi, avant que Xavier Eman, le sévère rédacteur en chef du « nouveau Présent » ne me censure, ne m’interdise d’écriture, il faut que je vous dise quelques mots de ce récit nouvellement paru, Le secret de la forêt de Paimpont, qui constitue donc le 38e ouvrage de la collection.
L’histoire se passe dans la forêt de Paimpont, dans le centre de la Bretagne. Cette forêt serait en, fait la fameuse Brocéliande des légendes celtes, celle de Merlin l’enchanteur, du roi Arthur, et des chevaliers de la Table ronde. Les quatre cousins Bordesoule, qui sont les héros de cette série, et qui ont entre 8 et 12 ans, ont entrepris une grande marche de nuit. Tout a été très bien organisé, mais il se passe des choses inquiétantes et pas très catholiques, dans cette forêt. Le Clan va devoir affronter l’Ankou et bien d’autres personnages inquiétants qui hantent cette forêt magique.
Bien qu’ayant largement dépassé l’âge limite de 12 ans indiqué par l’éditeur, je me suis régalé une fois de plus en lisant ce récit. Le Clan des Bordesoule, c’est ma madeleine de Proust à moi, recuisinée par le regretté Lionel Poilâne, dont la mort terrible, en, 2002 fut l’un de mes premiers vrais chagrins d’enfant. Quand je me plonge dans la toute dernière parution du Clan des Bordesoule, je revois, comme si c’était hier, les bureaux un peu cracra de Présent, et toutes ces têtes bienveillantes qui m’entouraient, me fêtaient : Jean Cochet, les sœurs de Lucy, les frères Le Morvan, les correctrices, tant d’autres. Epoque bénite, ne serait-ce que parce que je voyais tout cela avec les yeux d’une petite fille de dix ans .
Madeleine Cruz
Le secret de la forêt de Paimpont, par Francis Bergeron, Ed. du triomphe, mars 2023.