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Causeries littéraires : entretien avec René Moniot Beaumont, littérateur de la mer

Quand vous parlez de « causeries littéraires », à quoi faites-vous allusion ?

— En littérature, il est bon de se choisir un maître. J’ai un vrai plaisir à lire des causeries et Sainte-Beuve deviendra mon exemple type. J’aime chercher dans les romans les origines d’une vocation littéraire. Pascal a écrit : « On est tout étonné et ravi, car on s’attendait de voir un auteur et on trouve un homme. » C’est ce qui m’anime dans mes causeries, écrites à l’encre salée, bien entendu, Victor Giraud (1868-1953), un grand critique, les décrirait comme des « portraits d’âme ».

Quels sont vos prédécesseurs dans ce genre ?

— Aujourd’hui, à ma connaissance je suis isolé dans ce genre. L’art épistolaire me guide dans la rédaction de mes textes. Nous pouvons parler de causeries épistolaires, sachant que la lettre d’écrivain fut au XIXe siècle un objet littéraire à part entière, je me réclame de cette école. Je vais essayer de rester modeste vis-à-vis de mes illustres prédécesseurs : Guy de Maupassant, Barbey d’Aurevilly, Pierre Loti avec sa correspondance avec Madame Adam qui se poursuivra pendant quarante ans, etc.

Aujourd’hui, j’ai l’impression que les éditeurs et les lecteurs sont intéressés par ce genre, le difficile c’est de la mettre en adéquation avec les messageries électroniques.

Quel rôle les lectures enfantines ont-elles joué dans votre cas ?

— Je vois que vous connaissez mon parcours (littéraire) et mon attachement à ces œuvres impérissables de la littérature marine par exemple d’Eugène Sue, d’une vieille édition qui se trouvait étrangement dans le grenier de mes grands-parents qui habitaient dans le Beaujolais, l’Île au trésor de Robert-Louis Stevenson, Robinson Crusoë de Daniel Defoë, Capitaines courageux de Rudyard Kipling, Le Tour du Monde en quatre-vingts jours de Jules Verne et bien d’autres. Mais quel fut mon plaisir de découvrir, quelques années après mon adolescence, Les travailleurs de la mer de Victor Hugo, Le Vieil Homme et la mer d’Ernest Hemingway ! Ensuite, la liste resterait très longue, mon avant-dernier ouvrage : Dictionnaire chronologique des écrivains de la mer (édition ANOVI – 2022) pourra vous en dire plus.

Quand je naviguais, mes collègues de l’équipage remarquaient souvent « que j’avais voulu naviguer à cause de mes lectures de jeunesse », et c’était vrai ! Mes amis bretons étaient très surpris quand ils apprenaient mon origine Lorraine. Et pourtant, avec des terriens, on peut faire d’excellents marins…

Le patrimoine maritime de France est-il important ? Vous paraît-il nécessaire de le préserver ?

— Comme vous le savez, la France n’est pas un pays maritime malgré sa deuxième place en territoire d’eau salée dans le monde. Notre patrimoine demeure pourtant important et actuellement passionne un plus grand nombre de nos compatriotes. Nos côtes regorgent de musées, de chantiers de reconstruction de navires mythiques, de manifestations maritimes de grande ampleur comme les regroupements de grands voiliers ou des épreuves sportives comme le Vendée-Globe, et d’une littérature historique importante. En revanche, sa littérature purement littéraire n’est pas très connue. Le roman maritime français a été à son apogée pendant plus d’un siècle entre les années 1850 et 1960. Nous pourrions parler de cette période comme de l’ère des paquebots, où la France découvre l’attrait des bords de mer, des voyages océaniques sur des navires qui sont de véritables châteaux flottants. Le rêve de l’ailleurs de nos frontières existe. Qui n’a pas rêvé de partir sur ces merveilleux navires comme le Normandie, l’Île de France, plus près de nous, le France ? Les écrivains voyageaient, Jules Verne, Roland Dorgelès, Roger Vercel, etc. ; des marins militaires, de la marine marchande, de la pêche, écrivaient : Pierre Loti, Claude Farrère, les capitaines au long cours Armand Hayet, Louis Lacroix, Edouard Peisson, etc. ; des passionnés de la mer en rêvaient, tel Victor Hugo qui connut la mer grâce à son amie Juliette Drouet, ou Jean Giono, Pierre Mac Orlan, etc. ; des audacieux, comme Joseph Kessel, Henry de Monfreid et bien d’autres, nous ont raconté leurs extraordinaires aventures. Je pourrais vous en parler pendant des heures.

Quant à la nécessité de préserver notre patrimoine maritime, bien sûr qu’elle m’apparaît ! C’est notre A.D.N. de l’aventure au large. Au début, notre histoire demeure essentiellement terrestre, puis les Français se sont jetés, si j’ose dire, à l’eau, pour faire rayonner notre pays. Je sais qu’actuellement « la mer, c’est ce que les Français ont dans le dos quand ils profitent de la plage », comme bougonnait Éric Tabarly. Beaucoup de personnalités de tous bords pensent que notre avenir est le large avec nos territoires océaniques mais, curieusement, les vocations maritimes ne sont pas nombreuses. Je pense qu’une éducation maritime dès le plus jeune âge permettrait d’amariner les jeunes générations de nos villes et villages loin de nos côtes. Les classes de mer sont un bon présage d’avenir.

Maintenant… l’esprit d’aventure existe-t-il toujours dans notre pays ?

Propos recueillis par Anne Le Pape

• René Moniot Beaumont, Dix ans de causeries littéraires à l’encre salée, éd. Les Impliqués, 274 pages, 28 euros. Parution 2 juin 2023.

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