procès

Dupont-Moretti, maître… en mauvais procès

On ne s’en douterait pas à voir ses bonnes joues et sa bedaine, mais le locataire de la place Vendôme claquerait quasiment la dalle. Invité le 3 juin de l’émission « Quelle époque ! » sur France 2, il s’est plaint de devoir « diviser son train de vie par dix » depuis qu’il a quitté le Barreau pour les Sceaux.

Ce qui signifie donc qu’il devait palper quelque 100 000 euros par mois quand il plaidait mais lui qui affirmait en 2018 sur LCI qu’il « ne serait jamais ministre de la Justice » se serait senti « lâche » de refuser quatre ans plus tard un tel portefeuille. Où il se montre d’ailleurs d’une rare inefficacité. Incapable de faire respecter la loi (seulement 11 618 Obligations de quitter le territoire réalisées en 2022 sur plus de 130 000 OQTF prononcées), il se rattrape avec des gadgets dont le dernier en date est la création, annoncée par lui à son de trompe, de « pôles “violences intrafamiliales” dans tous les tribunaux de France ». Avec quels magistrats, quels greffiers ?

« Courroie de transmission du Kremlin »

Mais il n’est pas nécessaire de réussir pour persévérer et admirons la force d’âme du nouveau pauvre et son désintéressement au service du bien public, au nom duquel il n’hésite d’ailleurs pas à troquer la robe d’avocat pour celle du procureur.

L’accusée étant une fois encore Marine Le Pen, « courroie de transmission du Kremlin » a affirmé Éric Dupont-Moretti — paraphrasé le 6 juin par son collègue Oliver Véran qui qualifia l’ancienne présidente du Rassemblement national de « pantin de Poutine » — en s’étendant sur le prêt accordé en 2014 au Front national par une banque tchéco-russe plus tard rachetée par la Russie, les quatre cents banques françaises successivement approchées s’étant dérobées. Si bien que le choix à l’époque offert par Marine Le Pen se résumait « entre trois établissements bancaires seulement : un Chinois, un Iranien et un Tchéco-russe » ; il lui donc était « apparu que la République tchèque étant en Europe et la Russie étant membre du Conseil de l’Europe, il s’agissait du meilleur choix ». Mais la Russie ne venait-elle pas d’anschlusser la Crimée, dont 68% de la population était russe ? Riposte de celle qui était présidente du FN : « Mes positions n’ont jamais varié, ni avant ni après le prêt, ni avant ni après l’annexion de la Crimée. J’ai toujours dit la même chose : la Crimée a été russe pendant deux siècles, ukrainienne pendant 60 ans, donnée par un dictateur par ailleurs. […] Défenseur absolu du référendum, j’estimais que les habitants de la Crimée s’étaient exprimés par un vote [82% de oui, ndlr] pour le rattachement à la Russie.»

N’empêche, Dupont-Moretti se demande si Marine « préfère Pétain ou Poutine ». Question idiote (comme du reste la justification apportée par le ministre au double bras d’honneur qu’il adressa le 7 mars, en pleine Assemblée nationale, au LR Olivier Marleix : «Ce geste, il est stupide, il a été dévastateur (…) mais, en même temps, il n’était pas insultant »). A l’évidence, comme sa chef de file Elisabeth Borne et malgré la mise en garde d’Emmanuel Macron qui, pour une fois réaliste, venait de déclarer en Conseil des ministres qu’il ne fallait plus combattre le RN avec « les mots des années 90 et des jugements moraux » (ce qui a valu au président d’être taxé d’« aveuglement » par Libération), le garde des Sceaux persiste à pourfendre en l’élue du Pas-de-Calais « l’héritière de Pétain ».

Tous « héritiers de Pétain » ?

Il faudrait pourtant se décider à admettre que c’est sur l’anticommunisme autant que sur la lutte contre l’immigration, et non sur la réhabilitation de Vichy, qu’après l’épuration post-OAS se reconstruisit le mouvement national. En témoignent les Comités pour le Sud-Vietnam animés par Roger Holeindre au plus fort de l’offensive vietcong ou l’immolation par le feu le 12 février 1977, dans les locaux parisiens de la compagnie soviétique Aeroflot, de l’employé de banque Alain Escoffier qui entendait ainsi protester contre la collusion entre Moscou et les gouvernements européens, alors que Giscard s’apprêtait à réserver un accueil triomphal Léonid Brejnev. C’est d’ailleurs aux obsèques du jeune martyr que Jean-Marie Le Pen et Jean-Pierre Stirbois se rencontrèrent — et décidèrent d’œuvrer ensemble à l’essor du Front national, qu’allaient rejoindre tant de réfugiés des pays asservis par l’ogre rouge. Mais ce sont les mêmes qui, indifférents aux massacres de Budapest en 1956 puis de Prague en 1968 — aux portes de l’OTAN laquelle ne leva pas alors le petit doigt pour tenter de modérer le bellicisme soviétique —, se posent aujourd’hui en adversaires déterminés du Kremlin !

Et quand bien même certains nationaux seraient favorables au retour de la devise Travail-Famille-Patrie, il ne faudrait pas oublier que nombre de discours du maréchal Pétain, et notamment celui sur « la terre qui ne ment pas », furent rédigés par un juif, Emmanuel Berl, et que son gouvernement fut le premier de notre histoire à accueillir en son sein un mulâtre, le Martiniquais Henry Lémery, nommé ministre des Colonies et resté fidèle jusqu’à sa mort en 1972 au vainqueur de Verdun. « Le plus noble, le plus humain de nos chefs militaires ». Cet hommage ne lui fut pas rendu par Jean-Marie Le Pen mais par… Léon Blum, icône de la gauche, quand le radical Edouard Daladier, alors président du Conseil, nomma début 1939 Philippe Pétain ambassadeur de France à Madrid, poste difficile où, en très peu de temps, le futur chef de l’État français réussit à réconcilier les deux pays que la guerre d’Espagne avait séparés.

Le lendemain de l’exhibition de Dupont-Moretti sur France 2, où le ministre avait aussi réitéré l’énorme mensonge selon lequel le député RN Grégoire de Fournas aurait lancé à un élu noir de La France Insoumise : « Retourne en Afrique ! », était célébrée la fête des Mères, instaurée en 1944 par le maréchal, qui, en 1941, avait aussi fait du 1er mai un « jour férié, fête du travail et de la concorde sociale ». Pour la concorde sociale, on repassera en cet an de disgrâce 2023 mais les innombrables Français qui en profitent pour faire le pont sont-ils aussi des « héritiers de Pétain » ?

Camille Galic

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