C’est le mois où les ramifications se développent, le mois du solstice d’été et des chavandes… Ces bûchers pharaoniques que les conscrits de 20 ans érigeaient à qui-mieux-mieux chaque année sur les sommets des hautes vallées de Moselle, de la Moselotte et de la Thur, comme à Thann. Vive le vieux vin de vigne, Le vieux vin gaulois ! Tan ! Tan ! Terre et ciel !
Chêne, feu rouge et soleil Tan ! Tan ! Glaive clair, Flots de sang vermeil ! Le feu est mis, voici la Saint-Jean, la longue journée où tous les amants vont à l’assemblée, on chante, on danse, on s’embrasse, on s’enivre, de vin, d’amour ou de vertu… comme Baudelaire nous y invite dans le Spleen de Paris.
Capucines et cornichons
C’est le mois des capucines, voyez comme on danse ! Des premières confitures, des gelées de capucines si insolites et des cornichons (jeunes concombres). Certains se souviennent d’un colonel qui s’appelait comme ça, sous la plume marine de Jean Raspail (Le Président). Je me rappelle surtout mon pépé et ma mémé qui préparaient des conserves de cornichons comac ! Ils les achetaient frais place du Vieux-Marché à Rouen, haut-lieu où souffle l’esprit et où fut brûlée sainte Jehanne. Après les avoir lavés, ils les frottaient de gros sel sur la toile cirée de la cuisine obscure et borgne qui donnait sur une cour fréquentée naguère par madame Bovary… Tout à côté de l’église Saint-Patrice, où l’on pratique aujourd’hui la messe de toujours. Puis ils les pasteurisaient dans des bocaux. La buée coulait sur les carreaux, enfin les petites vitres, cernées de quarts de rond de bois moulu prêt à sombrer. C’était une affaire sérieuse, laborieuse, dont ils tiraient grande fierté ! Alexandre Dumas nous livre une recette proche de mon souvenir dans son Grand dictionnaire de cuisine. Cette spécialité est pratiquée, à l’aigre-doux, avec des graines de coriandre et des filaments d’aneth dans toute la Grande Allemagne (Prusse orientale, Silésie, Baltikum, Poméranie, Elsass, Moselle, Sudètes), en Europe centrale, Pologne jusqu’en sainte Russie. En France de l’intérieur, comme disent les Alsaciens et les Mosellans, on les préfère tout petits, croquant et vinaigrés, un peu acides.
Saints fromages
Mangeons à notre guise, n’importe comment et sans ordre ni façons! C’est pas le temps des (premières) cerises, tous les amoureux ont du soleil au cœur et la folie en tête… Pourquoi ne pas commencer par une belle ardoise de fromages de Normandie, de « colonel » justement ! C’est le sobriquet du livarot, en raison des cinq bandelettes qui le ceinturent (comme les rubans autour d’un képi d’officier de ce grade) pour l’empêcher de s’affaisser pendant l’affinage. Son parfum ou plutôt son odeur est puissante, son goût est relevé mais onctueux, sa pâte fine est légèrement élastique. De camembert qui est le fruit de la rencontre d’une fermière et d’un prêtre réfractaire fuyant Paris et la Terreur. De pont-l’évêque, créé par des moines cisterciens près de Caen au début du XIIème siècle, et qui s’appelait autrefois « Angelot », du nom d’une pièce de monnaie, puisqu’il servait alors de moyen d’échange. Au fil du temps il a pris le nom d’une ville du pays d’Auge, située entre Honfleur et Lisieux. Sans oublier le cœur de Neufchâtel du pays de Bray à la saveur et à la texture si particulière que bon nombre de convives, songent en le découvrant qu’il s’agit d un fromage de brebis. La crèmerie royale (lacremerieroyale.fr) propose en ligne ces fromages (mais ces commerçants ne donnent pas leurs coquilles — expression cauchoise qui signifie : c’est cher !). Si ces pâtés de lait sont si bons en ce moment, c’est parce qu’il a plu tant et plus, que le soleil est au rendez-vous et que l’herbe verte qui nourrit nos vaches se plait à ce climat chaud et humide.
Gloire au basilic !
Que diriez-vous ensuite de quelques légumes de saison sautés à l’huile d’olive : aubergine, courgette, oignon nouveau, fenouil que l’on mélangera avec d’autres préalablement pochés dans de l’eau salée bouillante (céleri, navet, carotte), le tout réuni dans un coulis de poivrons rouges confits et décoré de feuilles de basilic romain frais ! Le terme basilic a pour étymologie le bas latin basilicum (« royal »), formé sur le grec ancien basilikón (« plante royale ») qui convient à nos mœurs. Profitez de ses feuilles odorantes fraîches, entières ou ciselées pour distinguer toutes vos préparations. Il en existe plusieurs variétés, « Genovese », « fin vert », « basilic pourpre », « basilic marseillais »… Mais attention ! Le basilic ne supporte aucune cuisson ni la chaleur du four. Mais il procure et provoque la chaleur ! Mademoiselle Clairon, grande actrice française qui fit ses classes pendant quatre ans au théâtre de Rouen, en était folle, je vous parle de ça, c’était en 1736, ce qui ne nous rajeunis pas. Curnonsky écrivait qu’elle ne se séparait jamais de son pot de basilic et qu’elle en faisait goûter implacablement à ceux qu’elle invitait à dîner, et principalement à ceux qu’elle avait l’intention de retenir après le dîner.
Avec de l’ail nouveau, du basilic, de la laitue, des graines (sésame, cacahuète, noix de toutes sortes et bien sur pignons de pin), une bonne huile d’olive ou sinon une huile neutre, on peut réaliser un pesto sincère qui accompagnera une simple salade verte, un filet de poulet grillé, une belle tomate du jardin agrémentée de mozzarella di bufala ou de copeaux pecorino siciliano ou sardo (plus salé que le pecorino romano ou le parmesan, mais aussi plus racé).
Le barbecue séduit tout un chacun, pensez aux arrosticini des Abbruzes (petites brochettes de mouton ou d’agneau), au guancilale que l’on tranche finement et qui ne demande qu’un aller-retour sur la braise (joue de porc séchée qui est destinée traditionnellement à la recette des charbonniers, carbonari, carbonara). L’Italie (après l’Espagne selon mon goût) est souveraine en matière de jambon sec (de Parme, San Daniele del Friuli, Culatello di Zibello), mais l’Allemagne manifeste son empire, comme le fit Frédéric Barberousse, roi de Germanie, roi d’Italie, roi de Bourgogne, comte palatin de Bourgogne, duc de Souabe et d’Alsace, par ses saucisses ! Les petites saucisses de Nuremberg, cette terre promise, sont disponibles chez Aldi et Lidl ainsi que celles de Thuringe (saucisses blanches parfumées au cumin à l’instar des saucisses de la cité des ducs de Wurtemberg, Montbéliard).
Passons, voulez-vous ? au dessert… Avec quelques salades de fraises tranchées pas trop finement et que l’on fait mariner une heure ou deux avec du sucre en poudre. Ces fruits se dégustent à température ambiante et non froids. Préférez les variétés d’ancienne étiquette, « fraise des bois », « ananas », « capron », » des quatre saisons » ou « de Calabre musquée ».
On peut ajouter à la sauce un peu de cardamome fraîchement moulue ou quelques feuilles de menthe. Dans le panier de Madame de Sévigné, figurent aussi les cerises de Montmorency, les bigarreaux, cerises noires d’Itxassou, de Westhoffen, Osenbach, fruits entrant dans la composition des pâtisseries « Forêt-Noire » ou des gâteaux bâlois. Plus de 200 variétés sont répertoriées en France, alors faites vos jeux et préparez vos confitures !
Franck Nicolle