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BRICS contre G7, une modalité du choc des civilisations ?

Vers un monde multipolaire ?

Réunis à Johannesburg, les cinq pays membres du groupe constitué en 2011, Brésil, Chine, Russie, Inde et Afrique du Sud, veulent discuter, depuis mardi 22 août, de leur élargissement à l’occasion de ce 15ème sommet. Chacun sait qu’en diplomatie les états n’ont pas d’amis ou d’ennemis mais des intérêts et, si l’on parle d’un monde multipolaire, en se félicitant d’un effet contrepoids au G7, pour l’heure sans aucune illusion, nous sommes face à une forme à peine dissimulée d’affrontement feutré, contre ce que l’on appelle le monde Occidental, dont le maître d’œuvre est le président chinois XI Jinping, avec un second couteau de poids, le président Poutine néanmoins absent de ce sommet. Cela en raison d’une plainte de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre. On ne sache pas que le G7, dans un passé récent, ait jamais craint les foudres de ladite cour en n’invitant pas le président américain pour raison de crimes de guerre en Irak où en Serbie. Cette dissymétrie atteste encore de la puissance « morale » du clan occidental. Mais on notera qu’aucun des BRICS n’a condamné l’intervention de la Russie en Ukraine.

Un autre ordre international ?

Le ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov, lui, est présent à Johannesburg pour affirmer que non seulement la Russie n’est pas isolée, mais encore qu’elle entend faire bloc contre ce monde occidental, sur le mode d’un nouvel ordre qui serait multipolaire et « plus juste » dit-il. L’adjectif postule donc l’injustice de la domination de l’Occident, ce qui est faux parce qu’il a été le tout premier pour la science et le développement, ce qui est vrai parce qu’il prétend abuser des privilèges que lui a conféré son avance et imposer une image civilisationnelle que beaucoup de peuples ne sauraient accepter. « Les alliances définies par l’idéologie et les relations avec les superpuissances sont remplacées par des alliances définies par la culture et la civilisation ». (S. Huntington). En réalité, si l’on s’interroge sur cet Occident, c’est l’Amérique et ses vassaux, au premier rang desquels l’Europe, la mondialisation accomplie depuis la chute de l’URSS ayant été largement une américanisation. C’est pourquoi les BRICS songent fortement à échapper au dollar par la recherche d’une monnaie commune assise sur l’or (cf. Présent la Nouvelle ruée vers l’or). Sauf que, pour l’heure, seul le yuan pourrait jouer ce rôle de monnaie internationale, ce qui est loin de faire l’unanimité au sein du groupe. Et, pour l’instant, le yuan chinois n’est pas une monnaie de réserve mondiale de grande importance, car personne ne veut acheter d’obligations chinoises. Certes, la part du renminbi (yuan) dans les réserves de change mondiales a plus que doublé au cours des sept dernières années pour atteindre 3%, selon le FMI, mais c’est encore modeste au regard du dollar. En effet si la part du dollar américain dans les réserves mondiales a diminué de 72% en décembre 2000 à 58% en décembre 2022, Xijinping est encore très loin de ses ambitions. C’est d’ailleurs pourquoi le standard or serait préférable à la domination d’une devise, pour ne pas refaire la même erreur qu’en 1945.

De nombreux candidats

Voici revenu le temps des non-alignés, anciens pays du tiers monde (l’expression de 1945 d’A.Sauvy a bien vieilli) mais tous, aujourd’hui sont candidats d’un seul côté, celui des BRICS. Pourtant, leurs intérêts sont souvent divergents, ainsi au sein du Sud Global (terme de plus en plus employé), l’océan indien devenant le nouvel espace d’expansion économique, le premier ministre indien a renforcé ses liens avec les USA et la France.

Une vingtaine de pays sont candidats à l’entrée dans les BRICS, soutenus par la Chine mais certains sont des ennemis de l’Inde. Durant leur dernière et brève rencontre à Bali en novembre 2022, Narendra Modi et Xi Jinping se sont engagés à stabiliser leur dispute frontalière dans l’Himalaya et restaurer des échanges bilatéraux. Et l’on se souvient que l’Inde fut, durant la guerre froide, amie des soviétiques contre la Chine (opposée aux soviétiques sur le modèle communiste) qui avait annexé le Tibet. Quant à la France, elle n’est pas au sommet des BRICS, au grand dam de son président, qui collectionne les échecs diplomatiques, celui-ci mis en œuvre par Poutine résolument opposé à sa présence. Quoiqu’il en soit la question de l’élargissement des BRICS (il faudra changer l’acronyme) demeure épineuse mais les candidats sont nombreux, ce qui est en partie le problème, l’autre partie étant leur hétérogénéité. Une quarantaine de pays ont demandé leur adhésion ou manifesté leur intérêt pour rejoindre le groupe, dont l’Iran, l’Argentine, le Bangladesh et l’Arabie Saoudite. Parmi ces pays, près d’une vingtaine a fait une demande d’admission officielle. Il faut aussi compter l’Éthiopie et le Nigeria, deux pays les plus peuplés d’Afrique qui voient surtout le moyen d’accroitre leur influence en Afrique. Quant à l’Algérie, elle n’aurait pas été retenue, faute de remplir les critères économiques, explication non satisfaisante. D’un autre côté, l’Iran et le Venezuela, sous le coup de sanctions « occidentales », aimeraient, par ce biais, en desserrer l’étau.

L’Afrique, l’autre rive de l’Océan Indien.

Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a voulu faire de ce sommet un rendez-vous pour tout le continent en invitant plusieurs dizaines de pays africains. Sans doute trop optimiste, Il a annoncé que 30 leaders étaient attendus, sans dévoiler de liste. Pour l’instant environ 20 pays d’Afrique et d’ailleurs souhaitent rejoindre le groupe. Les BRICS sont déjà un quart de la richesse mondiale et plus de 40% de la population mondiale. « Le thème (de l’élargissement) reflète notre conviction quant aux bénéfices qu’un partenariat de l’Afrique avec les BRICS peut apporter à long terme », a déclaré lors d’un point presse, la semaine dernière, Naledi Pandor, la ministre des Relations Internationales et de la Coopération d’Afrique du Sud. On notera au passage que les patronymes de certains dirigeants d’Afrique du Sud sont d’origine indienne et l’on se souviendra que Gandhi fut d’abord l’avocat, en Afrique du Sud, de la minorité indienne immigrée. Mais, à dire vrai, l’Afrique est un enjeu pour tous, Occident et BRICS, et le recul de la France au Sahel est un très mauvais signe.

Globalement, les enjeux portent aussi sur les organisations internationales congénitalement occidentales, l’OMC, le FMI, la Banque Mondiale et même l’ONU, un basculement du monde sans doute.

Mais un basculement à risque.

Toute perturbation d’un ordre international, fût-il contestable, ne peut se passer de troubles et d’incertitudes, l’hétérogénéité des BRICS et des candidats entrave leur capacité à répondre aux aspirations de leurs membres, la nature humaine étant ce qu’elle est, il y aura lutte pour le leadership : Chine, Russie ? Lesquels semblent vouloir aller trop vite. « Nous ne nous laisserons pas entraîner dans une compétition entre puissances mondiales », a déclaré le chef d’Etat sud-africain, Cyril Ramaphosa. Les candidats espèrent aussi de l’entrée dans les BRICS des bénéfices économiques, à l’heure où la croissance de la locomotive chinoise ralentit fortement, cela constitue un autre élément d’incertitude.

Enfin et surtout, on ne voit pas comment l’Amérique pourrait renoncer à son leadership et elle le défendra bec et ongles. Ainsi en est-il, par exemple, de la dédollarisation. Certes le dollar est moins demandé, certes il n’a économiquement pas de référence à l’or, mais il demeure le fleuron d’une zone monétaire optimale, laquelle se définit par des critères non monétaires : Insularité (du continent), thalassocratie, capacité de projection sur la planète avec le levier de l’OTAN, budget militaire qui reste le premier de la planète. Il s’élève à 842 milliards de dollars soit 69 Mds$ de plus en 2023(+ 3,2%) et 39% des dépenses militaires mondiales.

Un monde multipolaire peut-être, mais multi-conflictuel sûrement : « Le présupposé occidental selon lequel des gouvernements élus démocratiquement seront coopératifs et pro-occidentaux pourrait bien se révéler faux dans les sociétés non occidentales… » (Huntington)

Olivier Pichon

Un commentaire

  1. Bravo Monsieur pour votre article.
    BRICS, danger pour le Nouvel Ordre Mondial ?
    La question se pose désormais. Mais quelles conséquences pour l’Occident ?

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