Le Drian

Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages, monsieur Le Drian !

Envoyé spécial d’ Emmanuel Macron pour le Liban, Jean-Yves Le Drian représente, en dépit de son apparence de bon papa idéal, tout ce qu’un nombre croissant de libanais ne peut plus supporter dans la macronie, à savoir un paternalisme arrogant et parfaitement hypocrite vis-à-vis d’une classe politique qu’elle cajole ou houspille en fonction des événements et des intérêts qu’elle pense défendre.

Dès les premiers mots d’ une entrevue accordée plus tôt cette semaine à l’Orient-le Jour, il dresse un premier bilan de sa mission en appelant les responsables politiques libanais à « trouver une troisième voie » pour sortir le pays de l’impasse présidentielle dans laquelle il se trouve depuis un an, alors que lui-même a remué ciel et terre durant des mois pour tenter d’imposer à l’opposition le candidat du Hezbollah, Sleiman Frangieh, prolongeant d’autant la situation de blocage.

« Il n’y a plus de président de la République depuis maintenant un an, il n’y a plus de Premier ministre depuis dix-huit mois, le Parlement ne se réunit pas, l’ancien patron de la banque centrale est soumis à des poursuites internationales. Et pendant ce temps-là, la situation économique se dégrade et certains vivent dans l’illusion que la diaspora ou de futures ressources gazières dont on ne sait pas grand-chose pour le moment permettront de combler la situation financière. La misère est là et on continue à entretenir des considérations tactiques permanentes. Et ça, c’est vraiment intolérable. » a-t-il martelé. C’est bien gentil monsieur Le Drian, mais vous oubliez un peu vite que cette politique du blocage institutionnel systématique est la tactique mise en place par le Hezbollah depuis bientôt 10 ans et que cela ne vous a jamais empêché de considérer cette milice ouvertement terroriste et narcotrafiquante comme un interlocuteur privilégié et incontournable de la diplomatie française, même au lendemain de l’explosion du Port de Beyrouth dans laquelle la responsabilité de vos amis enturbannés est largement engagée. Par ailleurs, vous vomissez l’ancien patron de la Banque Centrale libanaise en rappelant qu’il est poursuivi par la justice internationale, mais vous omettez de préciser que Riad Salamé fut durant une vingtaine d’années le chouchou de cette même communauté internationale, de vos amis politiques et des instances financières mondiales qui l’ont nommé à plusieurs reprises « Meilleur Président de Banque Centrale au monde ».

Il convient également de se souvenir du mariage de son fils Nady auquel toute l’aristocratie financière, diplomatique et politique française et européenne se pressait en avril 2019 – c’est-à-dire au moment même de l’effondrement du système bancaire libanais-, mariage célébré pour la bagatelle de 5 millions d’euros au château de Rambouillet. Mais peut-être y assistiez-vous ?

La France étant régulièrement accusée de faire le jeu du Hezbollah, vous balayez ces affirmations d’un revers de main dédaigneux : «Quels intérêts ? La France, dans cette affaire, souhaite que le Liban tienne debout et commence à mettre en place les réformes indispensables pour sa survie. La France n’a qu’un seul objectif, c’est d’avoir un Liban qui préserve son intégrité territoriale et qui retrouve une dynamique et une force pour mener des réformes indispensables. » Faut-il vous rappeler ce qu’il est advenu de « l’Arabie Heureuse », le Yémen, tombé aux mains des rebelles chiites houthis alliés de l’Iran lors du coup d’état de 2011 qui a chassé le gouvernement yéménite légitime? Est-ce « l’intégralité territoriale » et la « dynamique » dont vous rêvez pour le Liban ?

Enfin, monsieur Le Drian en est à sa troisième visite en quelques semaines à Beyrouth où il a tout tenté pour obtenir la tenue d’une « table de dialogue «  entre l’opposition et le tandem chiite, se heurtant à une fin de non-recevoir de la part des Forces Libanaises qui ont rappelé aux amnésiques qu’à chaque fois que le principe d’un dialogue a été accepté et mis en place, cela s’est systématiquement terminé par une guerre (Eté 2006) ou par une tentative de coup d’état (7 mai 2008).

Pour leur part, les saoudiens, après avoir estimé que « Le dialogue est une perte de temps », ont rappelé à l’envoyé spécial français qu’ils soutenaient quant à eux l’élection « d’un chef de l’État qui ne représente un défi pour aucun des deux camps », demandant expressément à Le Drian de convaincre les chiites hezbollahis de lâcher la candidature de Sleiman Frangié, en agitant notamment le spectre des sanctions.

Dans l’attente, tandis que la France est empêtrée dans ses contradictions et peine de plus en plus à se faire respecter, c’est le Qatar qui semble prendre les rênes de nouvelles négociations en mettant sur la table, avec d’autres potentiels candidats jouant le rôle de cache-sexes sauveurs de face, le nom du candidat de compromis le plus susceptible d’être accepté par toutes les parties, l’actuel général en chef de l’armée Joseph Aoun, perçu comme le favori de Doha et de la communauté internationale d’une part, mais aussi d’une partie importante de la population qui préfère un soldat attaché à la souveraineté de sa patrie à un homme d’affaire ou politicien de carrière susceptible d’être tenu en laisse par ses commanditaires.

Sophie Akl-Chedid

Un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *