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Entretien avec Laurent Dandrieu: le cinéma, courroie de transmission des valeurs familiales

Laurent Dandrieu, essayiste, rédacteur en chef Culture à Valeurs actuelles et critique de cinéma, vient de faire paraître Une cinémathèque idéale, Que regarder en famille de 5 à 16 ans ?

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de ce guide ? S’agit-il d’une réponse à des demandes de parents ?

Ce livre s’inscrit dans le cadre d’une collection publiée par les éditions Criterion qui, en 2018, avaient déjà édité Une Bibliothèque idéale. Que lire de 0 à 16 ans ?, et m’a demandé d’effectuer un travail similaire pour les films. J’ai accepté d’autant plus volontiers que des familles amies me demandaient souvent, à propos d’un film dont j’avais fait la critique dans Valeurs actuelles, s’il était adapté pour un enfant de tel ou tel âge, et que les discussions que j’avais pu avoir avec des parents m’avaient montré à quel point cette question du choix des films à visionner en famille était cruciale et délicate, afin de choisir des œuvres qui respectent la sensibilité des enfants en fonction de leur âge, et qui n’entrent pas en contradiction avec les valeurs que les parents entendent leur transmettre.

Et je n’ai pas oublié que j’ai découvert moi-même le cinéma en famille, autour du poste de télévision familial qui constituait, en ces années-là, la seule source d’images au sein de la maison. J’ai donc pensé ce livre, non seulement comme un guide pour aider les parents à choisir les films qu’ils souhaitent montrer à leurs enfants, mais aussi comme un plaidoyer pour le visionnage en famille : parce qu’il permet de créer une culture commune qui aide à cimenter l’unité familiale, et parce qu’il ouvre des espaces de discussions, de débats, qui permettent de réfléchir ensemble à ce qu’est une vie bonne, et d’incarner les vertus, les idéaux et les principes que l’on espère transmettre dans des exemples romanesques que l’on aura partagés en famille.

Quels sont les critères que vous avez adoptés à cette occasion pour juger les films ?

Pour juger les films, les grands principes restent toujours les mêmes : il s’agit d’estimer si l’œuvre dégage une vérité humaine, une vérité morale ou métaphysique, une vérité esthétique : en réalité, comme pour toute œuvre d’art, il s’agit de savoir si l’œuvre tend vers le vrai, le beau, le bien, et permet à celui qui la contemple de s’en approcher lui-même.

Pour ce qui est du choix des films, j’ai sélectionné évidemment des films divertissants qui permettent de passer un agréable moment en famille, mais aussi des films qui donnent à réfléchir, et dont les intrigues permettent d’introduire une réflexion, à partir d’un cas concret, sur les valeurs que les parents entendent transmettre à leurs enfants. Des films qui, par l’exemple de valeurs positives (courage, dévouement, audace, bienveillance, etc), ou le contre-exemple de valeurs négatives (la tentation de la vengeance ou le mimétisme de la violence, par exemple) et les leçons que dans l’un ou l’autre cas on peut en tirer, permettent à ceux qui les regardent, enfants ou adultes, de grandir en humanité. J’ai voulu éviter l’écueil du “cinéma édifiant”, parce que l’éducation est aussi un apprentissage progressif de la complexité du monde, de ses ambiguïtés, de ses noirceurs, jusqu’à la séduction du mal qu’il faut aussi apprendre à reconnaître. Je pense que ma sélection fournit aussi, aux spectateurs de tous âges, une bonne base pour l’édification d’une culture générale cinématographique.

Y a-t-il eu un âge d’or pour le « cinéma familial » ?

Oui, je pense que les années 1930 à 1960 sont un âge d’or pour le cinéma, et plus particulièrement pour le cinéma familial. Dans cette période, les studios n’ont aucune fausse honte à mettre en avant des valeurs humanistes, la culture familiale est valorisée, bien des films cherchent à mettre en avant les vertus de bienveillance, de générosité, de courage, de solidarité de sacrifice, fût-ce par des contre-exemples. Après, on entre dans ce qu’on a pu appeler “l’ère du soupçon”, ou ces valeurs positives sont souvent tournées en dérision, accusées de dissimuler des motivations peu honorables ou hypocrites. La violence devient omniprésente, le sexe explicite envahissant, cynisme et individualisme tendent à se tailler la part du lion. Jusqu’à aujourd’hui où le cinéma est devenu un véritable champ de bataille idéologique et le terrain d’expression privilégié du wokisme. Il reste de très bons films à mettre en lumière, bien sûr, mais il devient de plus en plus nécessaire, dans la production récente, de distinguer le bon grain de l’ivraie. D’où la nécessité, à mon sens, d’un guide comme celui que je publie.

Le 14 octobre prochain aura lieu à Compiègne une « Journée Waugh » à laquelle vous allez participer. Qu’en est-il des films tirés des œuvres de ce grand romancier catholique anglais ?

Evelyn Waugh est un écrivain admirable mais difficile à adapter à cause de sa fantaisie et de la façon dont il mêle le tragique au burlesque. Les adaptations de ses œuvres sur grand écran ont rarement été réussies. J’en distingue une, pour ma part : Une Poignée de cendre, un film de 1988 signé Charles Sturridge, avec Alec Guiness, Kristin Scott Thomas et James Wilby, que je n’ai pas inclus dans mon livre pour autant parce que j’ai jugé qu’il donnait du mariage une vision un peu trop sombre pour un guide destiné aux familles..

Une question pratique : conseillez-vous d’acheter des DVD ou de télécharger les films ?

Tout dépend de l’usage que vous en faites : si vous êtes du genre à revisionner le même film un grand nombre de fois et à vous repaître des bonus, le DVD s’impose. Pour un visionnage unique, le téléchargement peut suffire – d’autant qu’il est économe de place !

Parmi tous ces films dont vous pensez du bien, quels sont vos « incontournables » ?

Question impossible ! Il faudrait que je vous en cite des dizaines… Alors, pour me restreindre à quelques-uns, de manière arbitraire : pour les dessins animés, Mon Voisin Totoro de Miyazaki et Brendan et le Secret de Kells de Tom Moore, qui célèbrent l’un et l’autre la puissance de l’invisible. Pour les comédies, la Folle ingénue de Lubitsch pour son éloge du non-conformisme et Un jour sans fin d’Harold Ramis pour son incitation drolatique à faire de chaque jour une occasion de se rendre meilleur. Pour les drames, Qu’elle était verte ma vallée de John Ford pour son humanisme et Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov pour sa splendeur esthétique. Pour les films d’aventures, le Fils du désert de Ford, étonnante adaptation du thème des rois mages au western, et l’Homme qui voulut être roi de John Huston, qui nous met en garde sur les dangers de l’hubrys. Pour les polars et films noirs, les Enchaînés, qui est pour moi le plus bel Hitchcock, et la Nuit du chasseur, de Charles Laughton, somptueux conte de fées sur la lutte du bien et du mal. Pour le fantastique, la Rose pourpre du Caire de Woody Allen, splendide variation sur le pouvoir de l’imaginaire. Un film historique : les Heures sombres, magnifique ode à l’esprit de résistance. Et pour terminer un péplum religieux : Barrabas, de Richard Fleischer, qui est une belle leçon de pédagogie divine à travers un grand spectacle captivant.

Propos recueillis par Anne Le Pape

• Laurent Dandrieu, Une cinémathèque idéale, Que regarder en famille de 5 à 16 ans ? Critérion.

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