Pound

La chronique de Livr’arbitres : la vision du sacré chez Ezra Pound

Le monde littéraire regorge de grands, de petits, de béni-oui-oui, de prosateurs en quête de gloire, d’aventuriers en quête de reconnaissance, et autres plumitifs, mais dans ce panorama les vrais esprits libres, les inclassables et les non-conformistes, ceux qui le sont réellement et n’adoptent pas une posture, sont rares.

Certains se réclament d’une certaine unicité et prennent consciemment les standards de leur époque à rebours pour choquer le bourgeois, mais c’est l’histrionisme qui les guide souvent, le scandale compensant leur manque de talent. D’autres sont de vrais rebelles, de vrais iconoclastes, et dans ce club sélect des inclassables figure l’Américain Ezra Pound, d’ailleurs plus européen qu’américain, un poète ayant dédié une partie de sa vie à dénoncer les maux si peu lyriques que représentent l’usure et la finance rapace.

Bien connu en Italie, où il vécut longtemps, et dans son Amérique natale, son œuvre n’a pas eu la reconnaissance qui se doit dans la Francophonie. C’est pour combler cette lacune et faire découvrir Pound à un nouveau public qu’Adriano Scianca a commis un court essai portant sur le sacré dans l’œuvre poundienne. Écrit à la manière d’un amoureux plutôt que d’un universitaire, il s’agit d’une porte d’entrée pour le monde désarçonnant de Pound où le sacré est omniprésent. Même ses écrits sur l’usure, ce « péché contre nature », sont empreints de ce sens du sacré, ce qui peut sembler oxymorique mais qui qui était plutôt répandu dans la prose économique de l’époque avec des Gottfried Feder, Hillaire Belloc et Clifford Douglas, qui considéraient que la vie était une et totale et que l’on ne pouvait scinder en atomes indépendants ses différentes facettes.

Pour en revenir à l’objet de cette recension, il fallait à ce fils de puritain devenu plutôt libertin une bonne dose de spirituel pour avoir survécu à un séjour de 12 ans à l’asile d’aliénés sans devenir effectivement fou. Mais la religion pour lui ne se résumait pas à un dogme de foi et encore moins à un code de lois. Égal à lui-même, Pound aborda la question de la religiosité de façon hétérodoxe. Volontiers syncrétiste, on retrouve sous sa plume des références musulmanes, asiatiques, helléniques, égyptiennes… un magma que n’aurait pas renié son contemporain canadien Tom MacInnes. Malgré ces sources aussi exotiques qu’inattendues, Pound éprouvait une sympathie particulière pour le catholicisme, qui avait su préserver le sens du sacré et inculquer un sens de la dévotion exempt de fanatisme.

L’analyse de Scianca se termine par la traduction de deux Cantos, écrits à l’hiver 1944, traduits pour la première fois en français.

Rémi Tremblay (Livr’arbitres)

Adrion Scianca, Ezra Pound et le Sacré, coll. « Longue mémoire de l’Institut Iliade », Éditions La nouvelle librairie, 2023, 112 pages, 9 euros.

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