Iran

À quoi jouent les mollahs ?

Depuis une semaine, Téhéran semble avoir élargi sa stratégie opérationnelle sans pour autant, pour l’instant, prendre le risque d’un embrasement généralisé dont elle serait l’épicentre. Les frappes iraniennes menées il y a 8 jours au Kurdistan irakien, en Syrie et en Irak montrent que l’Iran cherche à dissuader les attaques américano-israéliennes contre « l’axe de la résistance » – l’ensemble des organisations politico-militaires au Moyen Orient qui lui permettent de mener sa guerre par procuration- en menaçant ainsi d’un élargissement régional du conflit Hamas-Israël.

Il s’agit également de rassurer sa base, tant en Iran que dans les pays phagocytés par le Gardiens de la révolution, base qui se rend bien compte que les mesures de rétorsion du Hezbollah et autre djihad Islamique en soutien au Hamas tiennent davantage de la gesticulation autour de certaines lignes rouges mises au point par les antagonistes depuis belle lurette que du véritable soutien militaire à la « résistance divine contre le diable sioniste ». Si le risque d’escalade existe en théorie du fait des probabilités élevées de dérapages de part et d’autre, ou pire d’actions menées sous faux drapeau visant à embraser la situation sans en porter la responsabilité, il reste limité dans l’immédiat avec des frappes visant des lieux soigneusement choisis pour éviter des pertes américaines ou des dégâts dépassant les règles d’engagement. Ainsi, le corps des gardiens de la révolution iranienne (CGRI) a revendiqué lundi dernier une douzaine de frappes avec des missiles balistiques et des drones kamikazes sur Erbil, la capitale du Kurdistan irakien, faisant des dégâts dans des zones résidentielles, et tuant quatre civils. L’Iran a affirmé avoir ciblé notamment « l’un des principaux centres d’espionnage sioniste du Kurdistan irakien » en représailles pour les assassinats récents par les forces israéliennes de plusieurs hauts gradés des gardiens de la révolution en Syrie et au Liban alors que les USA ont immédiatement minimisé la portée de ces frappes aux abords du nouveau consulat US qui n’était pas encore encore en fonction.

Drôles d’alliés…

Or, du moins en apparence, cette attaque porte essentiellement atteinte au gouvernement irakien pourtant allié de Téhéran. Bagdad a ainsi dénoncé cette « agression et des allégations fausses et incorrectes » sur la présence d’un siège du Mossad dans la capitale kurde. Le ministère des Affaires étrangères irakien, après avoir rappelé son ambassadeur en Iran pour « consultations », a même déclaré envisager de porter plainte au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais là encore, il ne s’agit que de gesticulations de la part de Mohammad Chia al-Soudani, nommé Premier ministre par la grâce des partis pro-iraniens en Irak et pour qui, à l’instar des mollahs, le Kurdistan irakien avec ses bases américaines n’est qu’une carte sacrifiable à l’envie. Dans le même esprit, l’Iran a frappé mardi dernier la zone pakistanaise du Sistan-Baloutchistan, tuant 2 enfants, en prétextant la présence d’une formation séparatiste proche de Daesh, Jaish al-Adl, un ennemi commun aux deux gouvernements qui a tué onze policiers iraniens dans la région en décembre. Face à la réaction d’Islamabad -le Pakistan a immédiatement rappelé son ambassadeur à Téhéran avant de répliquer en bombardant des cibles sur la partie iranienne de cette région séparatiste à cheval sur les deux pays, tuant à son tour neuf personnes dont 4 femmes et 4 enfants- les raids iraniens apparaissent dans ce cas avant tout comme une erreur de calcul face à une puissance nucléaire régionale qui n’est pas , loin s’en faut, manipulable comme le Liban ou l’Irak. D’ailleurs, la rapidité avec laquelle ces accrochages se sont résorbés indique que l’Iran a fait amende honorable auprès du Pakistan, seul détenteur de l’arme nucléaire dans tout la région, hormis Israël.

Ces remous ne sont pas sans inquiéter les officines diplomatiques occidentales déjà empêtrées dans le chaos ukrainien, les contradictions géopolitiques européennes, la crise migratoire et sécuritaire qui en découle, et dont la crédibilité fond comme neige au soleil. Dans le cas d’un embrasement généralisé, l’enjeu régional étant clairement le contrôle du Moyen Orient, il ne fait aucun doute que la Russie, la Turquie et même potentiellement la Chine (pour protéger sa route de la soie vers l’Europe et l’Afrique) entreront dans la danse. C’est là le chantage machiavélique de la République des mollahs, car les portes de la Troisième guerre mondiale seront dès lors grand ouvertes.

Sophie Akl-Chedid

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