poésie

Les lectures de Madeleine Cruz : poésie carcérale, quand tu nous tiens (les fers aux pieds)

La prison est certainement un lieu qui inspire les poètes, car, de Charles d’Orléans à Jean Genet (pour reprendre le titre d’un livre du regretté avocat Jean-Marc Varaut, paru il y a 35 ans), et de Chénier à Brasillach, de nombreux chefs d’œuvres sont nés à l’ombre des « hauts murs ». D’ailleurs, plus globalement, la prison a été propice à la naissance d’ouvrages de qualité. Je pense souvent aussi à Jacques Benoist-Méchin, à la série d’études historiques qu’il rédigea en prison. L’écriture est une évasion, bien entendu. C’est sans doute la première explication à ce rôle d’incubateur de talents que constitue la vie carcérale.

Pierre-Denis Boudriot semble avoir une passion particulière pour l’étude des conditions de vie en prison, et en particulier dans l’immédiat après-guerre, quand les cellules étaient pleines de gens talentueux, enfermés pour de bonnes et plus souvent encore de mauvaises raisons, avec, au-dessus de leur tête, la menace du peloton d’exécution au nom de l’ancien article 75 du code pénal (« tout Français qui aura porté les armes contre la France, sera puni de mort »). Boudriot a acquis, au fil de ses travaux, une grande compétence sur ce sujet, qui fait de lui l’équivalent d’un Robert Aron ou d’un Philippe Bourdrel. Plus on s’éloigne de ces temps, plus les historiens devraient prendre le pas sur les idéologues pour en juger. Mais nous n’en prenons pas vraiment le chemin, nous assistons plutôt à une évolution régressive dans ce domaine. D’où l’intérêt des travaux de Boudriot, qui vont à contre-courant des dogmes actuels. L’éditeur de ce court ouvrage, Auda Isarn, nous précise d’ailleurs que cette Anthologie des poèmes de l’épuration « n’a pas, à ce jour, d’équivalent ».

Brasillach, le maitre incontesté

La poésie de l’épuration est née à Fresnes avec Robert Brasillach, nous explique Boudriot. Plus on étudie les Poèmes de Fresnes, plus cette œuvre nous apparait d’ailleurs exceptionnelle.C’est devenu un genre littéraire à part entière, Brasillach en reste le maître incontesté, mais cette anthologie a l’immense mérite de nous faire découvrir d’autres poèmes qui méritent eux aussi de passer à la postérité. Quelques publications anciennes s’en étaient faites l’écho : on pense surtout à l’album Affres, paru en 1947, qui contient dix poèmes, signés de Pierre Bellino, Gabriel Bernard, Roland Bouvard, Robert Brasillach (fusillé), Guy Crouzet, Roger Duffaure, Jean-Hérold Paquis (fusillé), Robert Le Vigan (dix ans de travaux forcés), Jean Mamy (fusillé) et Serge Morzine. « Affres exalte la mort, ce thème dominant de la poésie pénitentiaire », note Boudriot. On peut le comprendre.

Mais Boudriot se fait aussi l’écho des poèmes carcéraux signés par d’autres personnalités ou des quasi-anonymes : Robert de Beauplan, Louis Truc, Lucien Combelle, Charles Maurras, le commandant André Demessine, Claude Maubourguet, Suzanne Raquin, Marcel Crozatier, Marguerite Fizet, Jacques Benoist-Méchin, Marcel Peyronnet, Claude Jamet, Philippe Saint-Germain, Fernand David…

A travers l’épuration

L’ouvrage A travers l’épuration, illustré par Guy Hanro n’a pas non plus échappé à l’œil expert de Boudriot. Ce document, inédit à ce jour, est semble-t-il conservé à l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire, basée à Agen (47), qui comporte un Centre de ressources sur l’histoire des crimes et des peines (CRCHP), avec une bibliothèque spécialisée en histoire pénale.

Or il se trouve que ce document, A travers l’épuration, va être réédité dans les prochains jours. C’est une initiative conjointe de l’Association des Amis de Robert Brasillach et de l’Association des Amis d’Henri Béraud. Cette étude sur la poésie carcérale des épurés tombe donc à pic, car elle va nous permettre de rappeler le parcours pénitentiaire de ces deux écrivains majeurs de la première moitié du XXe siècle, et de donner envie de les lire ou de les relire.

Pour ce qui me concerne, comme s’en souviennent sans doute nos lecteurs, je suis spécialement attachée à la cause des épurés car je n’oublierai jamais que mon grand-oncle François Brigneau, alors âgé de 25 ans, passa dix-huit mois en prison, notamment dans la cellule de Robert Brasillach, avant d’être acquitté à l’issue de son procès. Dix-huit mois emprisonné sans aucun motif ! Je n’étais pas née, bien entendu. Mais dans ma famille, ce déni de justice est resté gravé dans le marbre !

Madeleine Cruz

Anthologie de la poésie carcérale française sous l’épuration (1944-1954), par Pierre-Denis Boudriot, Auda Isarn, janvier 2024, 80 p., 12€

Et aussi :

Poètes en prison : de Charles d’Orléans à Jean Genet, par Jean-Marc Varaut, Paris, Perrin, 1989

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