J’écoutais vendredi soir, sur Radio Courtoisie, l’émission d’Alain Paucard consacrée à trois écrivains du XXe siècle : Marcel Aymé , Henri Béraud et Alexandre Vialatte. Je m’efforce de ne jamais manquer cette émission car Paucard – qui n’est certes pas un perdreau de l’année – m’épate toujours par son érudition et sa mémoire. Il donne l’impression d’avoir lu tous les livres, vu tous les films, entendu toutes les musiques. Il peut, de mémoire, chanter des complaintes d’un passé lointain, réciter des poèmes, des tirades, retrouver des citations pertinentes. Il donne l’impression d’en savoir autant sinon plus que ses invités, sur des écrivains qui pourtant mobilisent – voire monopolisent – l’énergie desdits invités.
Sans doute prépare-t-il très bien ses émissions. Mais il n’y a pas que cela. J’éprouve le même plaisir quand je regarde – sur des thèmes très différents – Philippe de Villiers sur CNews (c’est aussi le vendredi soir !). Ils me rappellent tous deux ma chère tante Mathilde Cruz, qui, dans les années 1980, animait les repas de famille (et les pages de Présent) quand elle commentait les programmes de télévision ou des faits historiques. Toute la tablée était suspendue à ses lèvres, moi y compris, alors que j’étais bien trop jeune alors pour comprendre vraiment ce qu’elle racontait.
Il se trouve que ce matin j’ai reçu au courrier, en « Service de Presse », comme on dit, un Cahier Alexandre Vialatte, ce qui fait un lien parfait avec l’émission d’Alain Paucard de vendredi dernier.
La cahier était titré « Le Diable et le Bon Dieu », et la couverture, assez saint-sulpicienne, représentait Jésus tenant le diable à distance de la Croix. C’était suffisamment intriguant pour que je m’y plonge sans perdre une minute.
J’ai immédiatement été frappée par cette étrange formule : « Depuis sa mort il y a plus d’un demi-siècle (1971), Alexandre Vialatte a beaucoup grandi ». Elle figure dans l’introït de l’importante étude que l’association des amis d’Alexandre Vialatte publie dans ce 49e cahier (décembre 2023), une étude consacrée à la place de Dieu dans l’œuvre et incidemment dans la vie du fameux chroniqueur auvergnat.
« Et c’est ainsi qu’Allah est grand »
Longtemps, de Vialatte, on ne connaissait guère que ses chroniques de la revue mensuelle Spectacle du monde, qui se terminaient invariablement par la formule « Et c’est ainsi qu’Allah est grand », une formule qui faisait sourire, à l’époque, mais qui résonne plus désagréablement aujourd’hui.
Vialatte, c’était aussi le régionalisme. Par ses papiers du quotidien La Montagne, par sa correspondance avec Henri Pourrat, du fait de sa statue qui trône à Clermont-Ferrand, il a pris progressivement sa place au panthéon des Auvergnats célèbres. Quand j’ai eu mon Bac (c’était pas dur !), tante Mathilde m’a offert les deux tomes de ses Chroniques de la Montagne (1) chez Robert Laffont en collection « Bouquins »). J’avoue ne pas les avoir ouverts, m’en réservant la lecture pour… la retraite. Mais après avoir entendu Alain Paucard et Jérôme Trolley, le président des amis de Vialatte, débattre sur Radio Courtoisie de son œuvre je pense que je vais anticiper la date de ma plongée dans ces chroniques.
Mais revenons à ce Diable et le Bon Dieu. Un critique littéraire réputé a soutenu que Vialatte n’avait pas « la tête religieuse ». Cette affirmation a interpellé l’universitaire Philippe Berthier, auteur de cette étude publiée dans les Cahiers Vialatte, Pour lui, il y a chez Vialatte, derrière l’humour, la fantaisie, la verve et le goût pour l’incongru, « une intense aspiration spirituelle (…) qui se manifeste partout et trouve dans la foi chrétienne une assise jamais remise en question ».
Un bouche à oreilles qui fait « grandir » Vialatte
Curieusement, alors que les « années Vialatte » s’éloignent, sa réputation et son œuvre (très lu comme chroniqueur mais peu lu en tant que romancier, mis à part sans doute Battling le ténébreux, Le fidèle berger et Les fruits du Congo, n’en finissent pas de progresser. Bien sûr le travail de sa biographe, Ferny Besson, et celui de l’association qui lui est consacrée ont leur part de mérite dans ce bouche à oreille qui fait « grandir » Vialatte, quand tant d’autres écrivains plongent instantanément dans l’oubli, à leur mort.
Mais en général ces écrivains qui ressuscitent, ces écrivains qui « grandissent » (je pense aussi à Philippe Muray, par exemple) se révèlent des valeurs sûres.
- Chroniques de La Montagne, Robert Laffont, coll. « Bouquins » 2 vol., 2000
Madeleine Cruz
Cahiers Alexandre Vialatte, 11 rue d’Assas, 75006 Paris
Adresse de messagerie : jerome.trollet@gmail.com