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Les lectures de Madeleine Cruz

Les amis de mes amis sont mes amis

J’évoque souvent sur le site de Présent Hebdo le travail qu’accomplissent les associations littéraires, spécialement celles qui défendent la mémoire des écrivains que j’aime, bien entendu. Il y a beaucoup d’associations de cette nature. La plupart d’entre elles sont subventionnées par des collectivités locales ou par le ministère de la Culture, ou les deux, ou d’autres sources publiques, encore, c’est-à-dire nos impôts. J’ai d’ailleurs remarqué que le nombre d’adhérents est inversement proportionnel au volume des subventions reçues, contrairement à toute logique. Certaines associations ne comptent d’ailleurs aucun adhérent individuel, uniquement des listes d’officines publiques ou parapubliques contributrices.

Inversement, les associations consacrées aux écrivains que j’apprécie le plus comptent parmi celles ayant les troupes les plus nombreuses, mais elles sont aussi généralement pauvres, et de santé fragile.

Certes les amis de Marcel Aymé ou ceux de Maurice Rollinat ou de Jean de La Varende touchent peut-être quelques miettes d’argent public, mais bien peu de choses au regard des adeptes de Victor Hugo ou de Zola, et je suis bien placée pour savoir que les amis de Robert Brasillach, de Bernard Faÿ ou d’Henri Béraud ne peuvent compter que sur leurs adhérents et mécènes privés.

Ceci explique pourquoi j’ai vu disparaitre avec regret, les amis de Robert Poulet, ou ceux de Drieu La Rochelle. Pour certaines associations on se pose la question : existent-elles toujours ? Chardonne ? Fraigneau ? On n’en entend plus parler. Et c’est dommage.

J’ai sur ma table de travail toute une série de cahiers, fascicules et autres bulletins consacrés à des écrivains que je ne me lasse pas de relire ou en tout cas qui sont l’honneur de ma bibliothèque. Je dévore généralement tout ce que je peux lire les concernant, et je découpe les articles, comme m’avait incité à le faire ma chère tante Mathilde.

Une exécution littéraire

Il y a par exemple Le Bulletin célinien. Ce n’est pas à proprement parler la revue des Amis de Céline, puisque c’est un périodique mensuel qui publie aussi des textes d’ennemis de Céline, quand ces textes sont consacrés à l’auteur de D’un château l’autre. Mais ce bulletin assure néanmoins une impeccable liaison entre tous ceux qui s’intéressent à Céline. Ce rôle de bulletin de liaison, elle le joue depuis 43 ans et 472 numéros. Qui dit mieux ?

Le numéro d’avril étrille, sous la plume du célinien Emile Brami, l’avocat Emmanuel Pierrat. Ce dernier, dans un livre consacré à « l’affaire Céline », a en effet accumulé tant d’erreurs qu’on se dit qu’il serait vraiment dangereux de confier ses intérêts à un tel « bavard ». Procurez-vous ce numéro pour les 5 pages de Brami. C’est une véritable exécution littéraire. Et s’il y avait une justice en ce bas monde, le malheureux Pierrat ne s’en relèverait pas !

L’éditorial du numéro de mars, signé de Marc Laudelout, le directeur du Bulletin célinien, est peut-être encore plus savoureux. Il rappelle que Philippe Grumbach, l’ancien rédacteur en chef de L’Express, avait rencontré Céline en 1957 avec sa collaboratrice Madeleine Chapsal. L’entretien s’était bien passé, malgré la détestation de Grumbach à l’égard de Céline. Pour que les choses soient claires et que les lecteurs de L’Express ne soient pas tentés d’aimer Céline après lecture de l’interview, Grumbach, qui était en fait opposé au principe même de cet entretien, avait concocté un titre sanglant : « Voyage au bout de la haine », la haine que Céline était censé éprouver  à l’égard de ses contemporains. Les propos de Céline « éclairent crûment les mécanismes mentaux de ceux qui, à son image, ont choisi de mépriser l’homme » écrivait Grumbach. Car pour lui, Céline était et resterait à jamais un traitre, un ennemi du genre humain.

Mais patatras, on apprend au début de cette année 2024, que Grumbach était un agent du KGB ! Pendant vingt ans, il a reçu plus de trois millions de francs des services sectrets soviétiques pour se livrer à de la désinformation pro-communiste , « et en prime une décoration soviétique ». Le surper-traitre Grumbach a donc été payé par une puissance étrangère ennemie à des niveaux faramineux. 

C’était donc lui le salaud absolu, pas Céline. La main qui tenait le stylo de Grumbach dans les pages de L’Express, était celle de Staline et de ses successeurs, pourvoyeurs de Goulags. Mais il ne serait jamais venu à l’idée d’Hitler de payer Céline pour ses délires littéraires, pamphlets compris. Ni à Céline d’accepter (et encore moins de réclamer) de l’argent allemand. C’est Grumbach (et pas Céline) qui avait les mécanismes mentaux de ceux qui ont choisi de mépriser l’homme. 

Correspondances Brasillach – Drieu

Le Bulletin de l’association des amis de Robert Brasillach en est pour sa part à son numéro 156. Jamais ce bulletin n’a été si copieux, si bien fait. On le doit, je crois, en bonne partie, à mon ami Manuel Heu. J’ai bien apprécié les pages consacrées à Brasillach, Maurras et la guerre d’Espagne, signées Axel Tisserand. Je suis moi-même à l’honneur, car le Bulletin reproduit in extenso mon article récent du Nouveau Présent Hebdo consacré à la publication d’un inédit de l’écrivain fusillé un 6 février 1945 : Lettres à une provinciale. Un autre de mes articles, qui se livre à une sorte de parallèle entre La Varende et Brasillach est également repris. Mais le plus passionnant, ce sont ces correspondances entre Brasillach et Drieu La Rochelle, vendues à Drouot le 15 décembre dernier. Grâce aux amis de Brasillach, ces courriers sont rendus publics.

Puisqu’on parle de Drieu, un mot sur le magazine des Amis de Jean Mabire, en se souvenant que Mabire fut le premier ou en tout cas l’un des premiers à publier une étude sur l’œuvre de Drieu. Le 68e Magazine de ses amis comporte notamment un passionnant témoignage de Philippe Randa sur ce « conteur des guerres et de la mer ». Randa fut l’un des éditeurs de Mabire, et aussi l’un de ses plus fidèles admirateurs. Il nous raconte Mabire à L’Esprit public, à Europe Action, à Minute, à National Hebdo. C’est toute une époque qui resurgit. La conclusion de l’étude de Randa, c’est que Mabire avait d’immenses qualités mais il n’était pas fait pour la politique politicienne ni pour diriger ou participer à la direction de revues grand public. Ses prises de position provoquaient clivages et démissions au sein des rédactions. Mabire était un formidable promoteur de la lecture, un passionnant raconteur d’histoires, en particulier sur les guerres et sur la mer. C’est déjà énorme, et c’est par cette œuvre-là qu’il va rester, et qu’il nous manque terriblement.

« Placement Plaisir »

Pour conclure cette pérégrination parmi les associations d’amis de mes amis, laissez-moi terminer par une visite aux Amis de Michel Gourdon. Peut-être ignorez-vous qui est Michel Gourdon ? Pourtant vous connaissez forcément son œuvre. Gourdon (1925-2011) est un illustrateur de livres. Il a en particulier signé les couvertures du Fleuve noir, pendant trente ans (1949-1978), dates qui correspondent grosso modo à l’âge d’or de l’édition (et de la lecture). Le Fleuve noir a édité environ 10 000 titres différents, répartis dans une centaine de collections différentes (dont Spécial Police, Espionnage, anticipation), avec des tirages phénoménaux, On parle d’un milliard d’exemplaires, en cumul, sur quatre-vingt ans ! A cette époque-là, quand on prenait le train ou le métro, on était à peu près certain de voir des passagers plongés dans un roman Fleuve noir (on appelait d’ailleurs ces romans, des « romans de gare »), et donc d’apercevoir un dessin de Gourdon. J’avais rencontré à La Baule, il y a quelques années, la fille du fondateur de cette illustre maison, et depuis lors je suis les publications de cette très active association. Nous ne sommes plus dans le domaine de la littérature, mais dans celui de l’œuvre dessinée. Et parce que Gourdon n’est pas encore considéré comme jouant dans la cour des grands illustrateurs (les Pierre Joubert, René Follet etc.), c’est là que les choses deviennent vraiment intéressantes. Il est un peu notre Edward Hopper à nous. Ses couvertures Fleuve noir nous racontent la France de l’après-guerre, les années 1950 et suivantes, avec les voitures et les avions de l’époque, les coiffures et les tenues des femmes, si caractérisques (Dior, Balmain, Givenchy…). Oh, j’aurais aimé être coiffée et habillée ainsi ! Gourdon ? C’est un « P.P. », un placement-plaisir. Chiner ses dessins, c’est sans doute le meilleur placement actuel. Ce n’est pas Madoff qui vous le dit, c’est … 

Votre Madeleine Cruz 

Le Bulletin célinien, BP 42004 59011 Lille cedex

Association des amis de Jean Mabire (AAJM, 1 rue de l’Eglise, Baulne-en-Brie, 02330-Vallée-en-Champagne

Association des Amis de Robert Brasillach (ARB) Monique Delcroix  BP19  60240 Chaumont-en-Vexin

Association des Amis de Michel Gourdon « La Croix des Mêches » 1 rue Charpy, 94000 Créteil

Un commentaire

  1. Il existe également une Société des Lecteurs de Céline (SLC) qui publie pour ses adhérents deux fois par an, une plaquette de qualité bibliophile sur des textes rares ou inédits. La prochaine (en juin 2024) reprend le thème de la réception de Guignol’s Band dans Révolution nationale en 1944 qui avait valu aux sociétaires un opus consacré à un texte de Jean Fontenoy, accompagné d’un avant-propos de Philippe Vilgier. Le propos est élargi cette fois, toujours autour de Céline et de Guignol’s Band, sous le titre “Littéraires dans la tourmente” à la presse de la collaboration et aux journalistes-écrivains qui ont continué à défendre la littérature dans une France bombardée…
    La cotisation à la Société des Lecteurs de Céline est de 35 euros par an. societedeslecteursdeceline@yahoo.com ou sur Fesses de bouc (FB)…

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