Iran

Ebrahim Raïssi, le « Boucher de Téhéran » est mort dans le crash de son hélicoptère

La mort du président de la République islamique d’Iran ne changera pas la politique étrangère de l’Iran mais va certainement déclencher une féroce lutte interne pour le pouvoir.

Né à Machhad le 14 décembre 1960 dans une famille se réclamant de la lignée du Prophète, Raïssi, après des études islamiques au séminaire chiite de Qom, la référence théologique suprême pour les chiites duodécimains, était aussi un Ayatollah, soit le degré le plus élevé de la caste religieuse iranienne. Juriste au cœur des tribunaux islamiques gagne son surnom de « Boucher de Téhéran » après que le guide suprême de la République islamique de l’époque, l’Ayatollah Khomeiny a accepté le cessez le feu négocié par l’ONU qui mit fin à la guerre Iran-Irak en aout 1988. Des membres du groupe d’opposition armé Moujahedeen-e-Khalq, lourdement équipés par Saddam Hussein, avaient alors passé la frontière entre les deux pays pour renverser le régime des mollahs, une tentative rapidement écrasée par l’Iran. Tous les prisonniers identifiés comme Moujahedeen furent pendus sur le champ, les autres priés de mener les opérations de déminage tout au long de la frontière… Selon un rapport d’Amnesty international publié en 1990, plus de 5,000 personnes auraient été exécutées sans autre forme de procès par les tribunaux révolutionnaires au sein desquels Raïssi officiait comme juge. Il devient alors le protégé de l’Ayatollah Khomeiny et trace sa voie dans les arcanes du pouvoir juridique. En 2016, l’Ayatollah Khamenei, Président de la République de 1981 à 1989 puis successeur de Khomeiny comme Guide Suprême, le propulse à la tête de la très puissante Fondation de charité Imam Reza, créditée de plusieurs milliards de dollars et qui contrôle la totalité des biens confisqué en 1979 lors de l’instauration de la Republie islamique ainsi que les principales compagnies immobilières et charitables du pays. Cette fondation n’a de compte à rendre qu’au Guide Suprême en personne qui définit son protégé comme « une personne de confiance extrêmement expérimentée ». Raïssi est dès lors considéré par les analystes politiques locaux et internationaux comme le poulain de l’Ayatollah Khamenei pour sa succession comme Guide Suprême, c’est-à-dire le commandant en chef du pays et l’ultime décisionnaire pour toutes les affaires internes et externes. Candidat aux présidentielles de 2017, il est devancé par le « modéré » Hassan Rouhani. Khamenei l’installe alors à la tête du système judiciaire iranien où il confirme sa réputation lors des procès à huis-clos contre les opposants au régime et les personnes ayant des liens avec l’Occident. En 2019, il est sanctionné par le Trésor américain pour sa « gestion administrative des exécutions de mineurs, usage de la torture, traitements inhumains et dégradants des prisonniers en Iran, avec y compris des amputations. » Selon Hadi Ghaemi, le directeur général du Centre pour les Droits de l’homme en Iran ((CHRI) « Raïssi est le pilier d’un système qui emprisonne, torture et exécute des personnes accusées de critiquer les politiques de l’Etat. » En 2021, l’Ayatollah Khamenei et la Commission des Experts chargée de donner l’aval aux candidatures pavent le terrain de sa victoire aux élections présidentielles en écartant de la course tous les candidats d’opposition de poids, faisant de lui le Président élu avec le plus grand taux d’abstention de l’histoire de la République, à peine 50%. Interrogé lors d’une conférence de presse au lendemain de son élection à propos des exécutions de masse de 1988, il répond : « Je suis fier d’avoir été un défenseur des droits de l’homme, de la sécurité et du confort du peuple en tant que Procureur. » Il renoue avec ses méthode en 2022 dans la répression des mouvements de protestation provoqués dans tout le pays par la mort de Mahsa Amini aux mains des escadrons des mœurs, une jeune femme arrêtée et tuée pour « ne pas avoir porté le foulard islamique de façon convenable ». Plus de 500 manifestants ont été abattus lors des émeutes et 22 000 détenus. Plus de 150 d’entre eux ont été exécutés par pendaison à ce jour. Depuis son élection, il a été aussi celui qui a poussé au maximum la politique d’enrichissement de matériaux nucléaires, prétextant une « campagne de sabotage de la part d’Israël ». « Les sanctions sont la nouvelle méthode de guerre des Etats unis contre les Etats du monde. Cette politique d’oppression maximale se poursuit. Nous ne voulons que ce qui nous revient de droit » a-t-il dénoncé en septembre 2021 aux Nations Unis. Le 8 octobre dernier, au lendemain de l’attaque du groupe terroriste pro-iranien Hamas contre des civils dans le sud d’Israël qui s’est soldée par la mort de 1250 personnes et la prise d’otage de 252 autres emmenés à Gaza, Raïssi a salué « la défense légitime de la nation palestinienne » et a reçu dans la foulée les principaux dirigeants du Hamas, tout en niant l’implication de l’Iran dans l’organisation et l’exécution de l’opération terroriste.

Une succession sous haute tension

Suite à sa mort dans le crash de son hélicoptère à la frontière avec l’Azerbaïdjan avec d’autres Hauts responsables du régime dont le ministre des affaires étrangères, sa succession est ouverte. En effet, l’article 131 de la Constitution prévoit l’organisation de nouvelles présidentielles dans un délai de 50 jours alors que près de 60 % des électeurs s’étaient abstenus au premier tour des dernières législatives début mars – le premier scrutin après le mouvement populaire « Femme, vie, liberté » créé après la mort de Mahsa Amini –, tandis que le second tour avait été marqué par un taux de participation d’à peine 8 % dans la capitale Téhéran. Des noms circulent déjà parmi les ultraconservateurs, comme celui du  président sortant du Parlement, Mohammad Bagher Ghalibaf. En attendant le scrutin fixé au 28 juin, c’est le vice-président Mohammad Mokhber, nommé en 2021 suite à l’élection d’Ebrahim Raïssi, qui gère les affaires courantes. Proche d’Ali Khamenei, l’homme avait été choisi pour diriger le fonds d’investissement multimilliardaire Setad. Sanctionné par l’Union européenne en 2010 pour son implication dans les activités nucléaires et balistiques iraniennes, il a été retiré de la liste noire deux ans plus tard, avant d’être inscrit en 2021 sur celle des États-Unis. Selon l’Orient-le Jour, Mohammad Mokhber a en outre contribué au rapprochement stratégique et militaire avec Moscou.

Simultanément, la question de la succession de l’Ayatollah Khamenei, âgé de 85 ans et à la santé défaillante depuis plusieurs mois, se pose également avec acuité, Raïssi étant présenté depuis son accession au pouvoir comme son favori pour le remplacer au poste de Guide Suprême. Or, le fils de l’Ayatollah Khamenei, Mojtaba Khamenei, se positionne également dans la course depuis 2022 et sa reconnaissance comme Ayatollah, un titre indispensable pour prétendre à sa succession, pour la première fois par l’agence de presse iranienne RASA, ce qui laisse entrevoir une lutte féroce au sein des premiers cercles du pouvoir pour emporter la palme.

Né à Machhad en 1969, Mojtaba Khamenei a servi lors de la guerre Iran-Irak entre 1987 et 1988 avant de prendre la tête de la milice Bassidj, connue pour son implication dans la répression des manifestations populaires après les élections de 2009. Proche du président conservateur Mahmoud Ahmadinejad en 2005 puis en 2009 avant que ce dernier ne l’accuse de détournement du Trésor public. Mojtaba Khamenei se fait alors oublier publiquement en devenant professeur de théologie au séminaire de Qom où ses pairs commencent à mentionner son nom comme éventuel successeur de son père. Simultanément, il joue un rôle important dans le système iranien, occupant la direction du Beit, le bureau du guide suprême chargé de valider les décisions prises à tous les étages du pouvoir afin qu’elles soient en conformité avec la ligne de l’ayatollah Khamenei. Toutefois, ses ambitions sont en contradiction avec les déclarations de son père qualifiant la gouvernance héréditaire comme l’équivalent d’une monarchie illégitime. « Si Mojtaba Khamenei parvient à succéder à son père à la tête de l’Iran, la République islamique deviendra un régime dynastique, ce qui est exactement le contraire de ce que l’ayatollah Rouhollah Khomeiny avait en tête pour l’Iran », explique Ali Alfoneh, chercheur à l’Arab Gulf States Institute de Washington. Mojtaba Khamenei aurait ainsi figuré en novembre 2023 sur une liste de candidats potentiels d’une commission secrète de l’Assemblée des Experts chargée d’élire le guide suprême au suffrage universel direct.

S’il venait à être élu avec le soutien des Gardiens de la Révolution à ce poste, une telle aide pourrait renforcer considérablement la mainmise des Pasdaran sur l’appareil sécuritaire. En raison de son manque de légitimité et d’une popularité inexistante, le fils de l’Ayatollah Khamenei deviendrait rapidement tributaire des Gardiens de la révolution pour maintenir l’ordre social et la Fondation d’analyse géostratégique Carnegie n’a pas manqué de lancer un avertissement : « Cela pourrait accélérer la transition du régime vers un régime militaire ou son effondrement potentiel. » En effet, le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) a connu une ascension continue au sein du pouvoir depuis les années 2010 avec la multiplication de ses interventions extérieures et son contrôle grandissant d’intérêts économiques et industriels. Selon Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran et du Moyen Orient, professeur de relations internationales contemporaines à l’HELMO, ils sont « de plus en plus un État dans l’État, avec un Iran qui évolue de plus en plus vers l’autoritarisme, reposant sur ses appareils de sécurité. Selon les noms qui vont émerger pour l’élection présidentielle, on pourrait assister à une montée en puissance supplémentaire du corps des Gardiens de la révolution. » Une analyse partagée par le Financial Times qui affirme que si « les gardiens ne s’impliqueront pas directement dans le processus de succession (du guide suprême) et électoral – nous ne verrons pas le clergé et les gardiens se dresser l’un contre l’autre- ils fonctionneront comme le principal organe consultatif de l’Assemblée des Experts, de quoi affirmer leur pouvoir stratégique alors qu’ils sont déjà en charge de la politique étrangère du pays, notamment du réseau de « l’axe de la résistance », ou encore de son programme nucléaire et balistique. »

Accident ou attentat « de l’intérieur », tout indique que l’Iran sera sous tous les projecteurs ces prochaines semaines et mois à venir, ce qui ne sera pas sans détourner les regards du conflit de Gaza et contribuera sans doute possible à accélérer la redistribution des cartes régionales, pour le mieux…ou le pire !

Sophie Akl-Chedid

Un commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *