Le langage corporel est criant : un le Drian posé du bout des fesses sur sa chaise, les mains croisées sur le haut du genou comme un élève attendant ses résultats. A côté de lui, le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad, enfoncé dans son siège, les mains posées sur les accoudoirs, jambes écartées, regard dominateur.
Ainsi donc, l’émissaire français pour le Liban ne peut venir en mission au pays du Cèdre sans rendre visite au représentant d’un parti terroriste qui entraîne unilatéralement le pays dans une guerre qui ne le concerne en aucun cas, celui la même qui a stocké à des fins militaires étrangères au Liban et de façon totalement illégale le matériel explosif qui a fait sauter la moitié chrétienne de la capitale en août 2020, causant la mort, on doit le rappeler pour ceux qui ont les yeux exclusivement rivés sur Rafah, de plusieurs centaines de civils innocents, en blessant 6000 autres et détruisant le domicile de 300 000 habitants. Mais qu’importe, tous les témoins ont ouvertement été abattus par les interlocuteurs de monsieur le Drian et l’enquête figée pour la nuit des temps.
L’objectif de cette visite de deux jours était ambitieux, soit sortir le dossier présidentiel de l’impasse, plus d’un an et demi après la fin du mandat de Michel Aoun. Et pourtant nul n’ignore que l’élément bloquant des institutions libanaise se trouve depuis des années entre la Banlieue Sud et Téhéran qui refuse de lâcher du lest sur sa main mise sur le pays, l’agitation improductive française visant sans doute à donner l’illusion d’une activité diplomatique, le projet macronien d’une visite du président français en « sauveur » de la situation ayant même été évoqué. « L’Élysée a cependant été conseillé, notamment par des Libanais, de ne pas prendre cette initiative, car elle ne mènerait à aucun résultat, un peu comme en 2020 », révèle une source diplomatique occidentale, en référence à la visite d’Emmanuel Macron à la suite de la double explosion au port de Beyrouth et à « l’initiative française » qu’il avait lancée et qui n’avait produit aucun résultat. D’ailleurs, Nabih Berry (Président de la Chambre) lui-même a vivement déconseillé à M. Le Drian d’organiser cette visite car « il n’y a rien de nouveau. » Vexé par cette fin de non-recevoir qui ne manquera pas de froisser le locataire Elyséen, Jean-Yves Le Drian s’est fendu d’une menace en demi-teinte : « Si un président n’est pas élu très vite (en été et avant la présidentielle US a-t-il été précisé hors camera) ce sera la fin du Liban politique. Ne restera que le Liban géographique. »
Enfin, à propos de l’élection présidentielle, Le Drian a proposé au Hezbollah d’abandonner l’idée d’un « dialogue » (entre tous les blocs politiques) et de tenir des séances électorales ouvertes et consécutives pour élire un chef de l’État (tel que prévu par la Constitution). Mohammad Raad lui a répondu qu’il était impossible de tenir un conclave sans d’abord connaitre le profil du président qui sera élu et sur quelle base ce dernier sera élu, d’autant plus dans un contexte de démocratie consensuelle, en clair sans avoir auparavant imposé le nom du « vainqueur des élections » qui convient le mieux aux desideratas du Hezb. Enfin, selon l’Orient le Jour, cette visite de Le Drian aurait coïncidé avec une tentative d’Emmanuel Macron de persuaderle prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane d’assouplir son approche concernant le dossier présidentiel et de lever son veto sur la candidature de Sleiman Frangié, leader des Marada et favori du tandem Amal-Hezbollah.
Concernant la situation au Sud Liban, le Hezb s’est une fois encore montré intraitable, liant la possibilité de négocier un cessez le feu avec Israël a l’établissement préalable d’un cessez le feu dans la Bande de Gaza, les deux interlocuteurs faisant joyeusement fi de la souveraineté du Liban dans ce dossier régalien s’il en est.
Pendant ce temps le pillage du Liban continue et le Conseil du Liban-Sud, un organisme totalement aux mains de « l’axe de la résistance », a annoncé jeudi que 20.000 dollars seront versés à chacune des familles des victimes des attaques israéliennes au Liban, dont la plupart sont des membres du Hezbollah, faisant ainsi payer une nouvelle fois aux libanais les conséquences d’une décision de guerre et des actions militaires d’une milice aux ordres d’un pays tiers. Le chef des Forces libanaises et le parti Kataëb ont vivement critiqué cette décision du gouvernement sortant, condamnant l’implication du Hezbollah dans le conflit avec Israël et Nadim Gemayel, député de la formation phalangiste, a demandé jeudi au Conseil du Sud et au ministère des Finances de publier les détails de l’origine de ces fonds et des indemnités en espèces déjà distribués depuis le 7 octobre, les fonds concernés ne figurant pas dans le budget de l’État de l’année 2024.
Sophie Akl-Chedid