Dans ses « pages littéraires » de fin de semaine, le quotidien Présent (1982-2022) offrait une chronique régulière qui s’intitula « la chine nationaliste », puis « le chineur français » après une interruption de quelques années. Cette chronique s’adressait et s’adresse toujours aux collectionneurs, aux « chineurs » du dimanche.
Dimanche je suis allé faire un tour au vide-grenier de ma petite ville (Argenton-sur-Creuse), après la messe, bien entendu. Ces étalages proposent le plus souvent d’atroces souvenirs de vacances ou encore les vêtements d’enfants et le matériel de puériculture qui va avec. J’ai le souvenir qu’autrefois, quand ma grand-mêre m’entrainait aux déballages de la porte de Montreuil, on y trouvait des objets de meilleure qualité, réellement sortis des greniers, pas de la chambre du petit devenu grand. Mais on embellit toujours ses souvenirs d’enfance.
Le Figaro littéraire
Un stand a toutefois attiré mon attention : on y proposait, soigneusement classés et pliés, les suppléments littéraires hebdomadaires du Figaro. La collection n’était pas très ancienne : les années 1990. Mais tout de suite mon regard a été attiré par le papier de « une » d’un supplément du Figaro consacré à Jean Raspail. Renaud Matignon y faisait la critique du roman Sire. Un autre vieux Figaro littéraire traitait, en « une » également, du roman Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui n’était plus gardée. Il y avait déjà de quoi « truffer » quelques livres de ma propre bibliothèque, en découpant soigneusement ces critiques, généralement pertinentes. Au fond, ces archives quoiqu’assez récentes, présentaient un certain intérêt car on y retrouvait un ensemble de critiques littéraires consacrées aux dernières parutions (ou rééditions) d’auteurs appréciés : Junger, Déon, Jacques Perret, Raspail, Dutourd, Tillinac, Michel Mohrt, Geneviève Dormann, Jean-Louis Curtis, Félicien Marceau, Jacqueline de Romilly etc., beaucoup d’écrivains que je considère toujours comme majeurs ou en tout cas comme continuant à donner le plaisir de leur lecture, et ne dépareillant pas la bibliothèque d’un honnête homme. Il y avait aussi les inévitables dithyrambes sur Jean d’Ormesson, qui remplissaient les vides, si l’on peut dire… Ravi de s’en débarrasser, le « marchand » me remit le paquet de journaux pour quatre euros. Je ne m’étais pas ruiné.
Evidemment ces vieux papiers n’avaient aucune valeur, si ce n’est la valeur que l’on prête au livre ainsi promu, ou étrillé parfois.
Tout cela m’a replongé dans un monde qui s’éloigne très vite. Tous ces auteurs, je les ai rencontrés, côtoyés, ou au moins croisés, certains s’exprimaient régulièrement dans Présent, répondaient de bonne grâce à nos demandes d’interviews. Mais tous ont disparu, laissant une trace, certes, mais aussi une forte nostalgie. Ont-ils été remplacés ? Il y a certes une relève, mais insuffisamment soutenue, mis en valeur, une relève parfois aussi un peu timorée face aux pressions des « influenceurs » politiquement corrects.
Je regrette de ne pas avoir su goûter à son juste prix la chance qui nous était donnée de les côtoyer régulièrement. Je les croyais immortels, certains l’étaient, d’ailleurs.
Ecrivains sous-évalués et surévalués
A cette époque l’équipe du Figaro s’a musait à interroger les écrivains sur des sujets tels que : « Quel est le livre de vos quinze ans ? ». Ou encore « Quels sont les écrivains surévalués ? ». A cette dernière question, Duras gagnait haut la main (Jean Raspail, François Sureau, Marc Lambron l’avaient placée à la première place des surévalués). D’autres se sont chargés depuis lors de la hisser sur un piédestal de marbre. Mais apparaissaient aussi au sommet de ce tableau du déclassement littéraire Beauvoir, Yourcenar, André Breton, Albert Cohen, Sagan, Malraux. Ce n’était pas si mal vu.
Dans la liste des sous-évalués, étaient notamment cités Jacques Perret, Roger Caillois, La Varende, Gripari, Fraigneau, Simenon. Depuis lors Simenon a bénéficié d’une réévaluation officielle, avec son entrée dans La Pléïade. Pour les autres, il faut que l’on s’active encore un peu car ils méritent l’éternité littéraire.
Certains auteurs figuraient curieusement à la fois parmi les sous-évalués et les surévalués, mais pas par les mêmes juges, bien entendu. J’ai relevé les noms de Barrès, Brasillach, Gide, Giraudoux, Simone de Beauvoir et Malraux. Curieux, non ?
« pédophilie d’atmosphère »
Parmi les sous-évalués, François Nourissier citait Tony Duvert. Tony Duvert fut un effroyable pédophile. Comment des gens sensés comme on peut supposer que Nourissier l’était, ont-ils pu encenser ses ouvrages criminogènes. ? Quant à Gabriel Matzneff (il n’écrivait donc pas que dans les journaux de gauche, comme Le Monde, mais aussi dans le respectable Figaro), il conseillait surtout la lecture de ses propres œuvres. Sans doute espérait-il ainsi se faire réévaluer. C’est raté ! Cette vanité obsessionnelle avait fait dire à Renaud Matignon : « M. Matzneff, qui manie les sujets graves sans négliger les bagatelles, traque dans l’univers ce qui rend hommage à M. Matzneff ». La question ne se pose plus pour Duvert comme pour Matzneff. Ces écrivains étaient terriblement surévalués, bénéficiant d’une « pédophilie d’atmosphère », comme on dit aujourd’hui à propos de tout et de rien. Gardons néanmoins quelques belles pages de Matzneff sur l’oeuvre d’Hergé.
Francis Bergeron