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Outre Manche, le RN aurait eu 380 députés !

Le 5 juillet, la médiaklatura hexagonale exultait devant la victoire des travaillistes britanniques qui, avec 367 sièges, disposent désormais de la majorité absolue à la Chambre des Communes et formeront seuls le futur gouvernement britannique sous la houlette de leur leader Keir Starmer. Deux jours plus tard, la même mediaklatura exultait devant le revers en France du Rassemblement national réduit à l’heure où nous écrivons à 143 sièges alors que les sondages unanimes le créditaient de 230 députés au moins.

Premier parti de France et coalitions hétéroclites

Les exégètes n’oubliaient qu’une chose : la différence entre les modes de scrutin des deux côtés de la Manche. Le scrutin uninominal à un tour tel qu’il fonctionne depuis une éternité au Royaume-Uni aboutit automatiquement à l’élection dans chaque circonscription du candidat arrivé en tête. Si ce système régissait la France, le RN aurait disposé lui aussi de la majorité absolue puisque 380 de ses candidats étaient sortis vainqueurs du premier tour, du Nord aux Alpes-Maritimes.

Avec 143 députés au maximum, ce qui n’en fera pas moins le premier parti de France puisque les deux blocs (Nouveau Front populaire à gauche, 182 élus dont un gros tiers issus de La France Insoumise, et le magma centriste Ensemble ex-majorité présidentielle, 163 élus) qui le précèdent en nombre de sièges, ne sont, pour reprendre l‘expression de l’ancien Premier ministre Edouard Philippe, que des « coalitions hétéroclites », et surtout opportunistes, au sein desquelles les divergences sont abyssales et donc prévisibles les conflits. Mais il est vrai qu’on peut s’attendre à toutes les combinazioni dans la distribution des portefeuilles et des postes stratégiques quand l’on pense qu’en Normandie, Elisabeth Borne, honnie pour avoir mené à bien une réforme des retraites flétrie par tous les camarades syndiqués, n’a dû sa reconduction qu’au désistement d’un candidat LFI. De même pour Éric Woerth, ancien UMP rallié à Macron et héraut du libéralisme économique. Cependant que des fanatiques de l’économie de marché se désistaient en faveur de barons mélenchonistes à seule fin de « faire barrage à la vague brune ». Et tant pis si les marchés s’affolent et si l’économie française s’effondre ! Priorité au « cordon sanitaire contre l’extrême droite » et vogue le navire… jusqu’au naufrage.

On a tout dit sur l’amoralité de ces désistements, véritable déni de démocratie comme l’ont aussitôt clamé — à juste titre — Marine Le Pen et Jordan Bardella. Mais ceux-ci ne sont pas à l’abri de toute critique car leur campagne pour le second tour fut entachée de plusieurs couacs.

Les pièges de la dédiabolisation

La première fut-elle bien inspirée de déclarer abruptement que le président de l’État « n’est pas le chef des armées car c’est le Premier ministre qui tient les cordons de la bourse », au risque d’inquiéter les électeurs les plus légalistes ? Avait-elle besoin d’affaiblir le très expérimenté Roger Chudeau, candidat à sa reconduction dans le Loir-et-Cher, en se disant « estomaquée » par son attaque contre Najat Vallaud-Belkacem dont il s’était borné à rappeler l’action délétère à la tête du ministère de l’Éducation nationale où cette binationale franco-marocaine avait tenté d’imposer l’enseignement généralisé de l’arabe ?

Quant au second, ses palinodies sur la binationalité, ses ambiguïtés en matière de politique étrangère, sur l’Ukraine et Israël notamment, et l’exclusion brutale de plusieurs candidats fort honorables mais qui n’avaient pas eu l’heur de plaire aux tchékistes de Médiapart, ont sans doute semé un certain trouble dans son électorat. Et ont peut-être même braqué les plus fidèles comme lorsque, soumis au questionnaire de Proust par le magazine L’Incorrect qui lui demandait quel personnage historique il préférait, il a répondu : « Le général de Gaulle. » Mais un sec « Pétain » à la question : « Et celui que vous détestez le plus et auquel vous ne pardonnez rien ? » Interrogé le 24 octobre 2021 par Europe 1, Alain Finkielkraut, dont les grands-parents périrent pourtant en déportation, était moins sévère (ou peut-être mieux informé) à l’égard du Maréchal puisqu’il déclarait : « Vichy, ce n’était pas la Pologne, l’État français voulait conserver une certaine marge de manœuvre. Il est vrai que Laval a négocié pour sauver un maximum de juifs français, aux dépens des juifs étrangers, mais on a tort de dire que Vichy aspirait à l’extermination de tous les juifs. On ne peut pas dire que le statut des juifs [1940] a conduit à la solution finale en France. »

« Être ou ne plus être » … Conduisant à certains alignements sur la doxa en matière sociétale et historique, la dédiabolisation est une longue marche qui recèle nombre de pièges, et dont les gains sont parfois annulés par des pertes, en commençant par la démobilisation d’une partie du troupeau. Cette fois d’autant plus tenté de bouder en s’abstenant que, de bonne foi ou par traitrise, les instituts de sondages promettaient des scores mirifiques au Rassemblement national, censé survoler l’élection. Plus dure a été la chute même si, répétons-le, le RN reste le premier parti de France, une France qui, pour le coup, va être ingouvernable puisque ne se dégage aucune majorité viable, ce qui donnera lieu aux pires accommodements.

La grenade de Macron fera-t-elle exploser la France ?

Mais c’est sans doute, pour mieux régner, ce que voulait Emmanuel Macron qui, interrogé le 10 juin dernier lors de la solennelle commémoration de la tragédie d’Oradour-sur-Glane, sur le saut dans l’inconnu provoqué par la dissolution de l’Assemblée nationale, répondit en s’esclaffant : « Mais pas du tout ! Je prépare ça depuis des semaines, et je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s’en sortent ! »

On va voir maintenant comment l’apprenti-sorcier, lui, s’en tire. Et sort notre nation déjà si malade du chaudron où il l’a jetée avec tant d’irresponsabilité et un orgueil proprement luciférien

Camille Galic

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