Depuis 1956, depuis l’attaque de Budapest par les chars soviétiques, les femmes et les hommes de ma génération ont vécu dans une ambiance politique marquée par une lente – certes trop lente – érosion du Parti communiste « français ». Avec certes parfois des périodes de rémission. Mais on peut dire que, pendant soixante-dix ans, le communisme a constitué comme un répulsif pour la droite, tandis que, par vagues ou vaguelettes successives, intellectuels, « nouveaux philosophes » et militants abandonnaient le navire stalinien. Et avec la découverte des crimes contre l’humanité du communisme extrême oriental, avec la chute du mur de Berlin, avec la libération de l’Europe de l’Est, cette idéologie, et les organisations nées de celle-ci, étaient carrément devenues des astres morts.
Ce tropisme est-il désormais interrompu ? Certes Roussel a été battu aux dernières législatives, mais la toute récente compétition électorale a fait naitre un phénomène nouveau : la réintégration du communisme – au moins du communisme dit « français » – dans « l’arc républicain ».
Pour la première fois en effet, depuis1956, le PC « F » reçoit un brevet de « social-démocratisme », et la classe politique – à commencer par Edouard Philippe – adoube ce courant, lui apporte son soutien, et reçoit en retour les voix des communistes. Nous assistons en quelque sorte à la fusion inédite du monde giscardo-chiraquien (ou ce qu’il en reste) avec celui des rescapés du stalinisme et du polpotisme. Et de cette fusion est née la Chambre du 7 juillet.
Plusieurs commentateurs se sont étonnés que le camp de la droite nationale, qui a recueilli le plus de voix, la semaine dernière, ait si peu de députés, et qu’inversement, les deux blocs de « l’arc républicain » en aient autant, avec beaucoup moins de voix chacun. Mais l’explication est simple : le front populaire de Mélenchon et ses acolytes inclut de fait macronistes et LR « maintenu ». L’accord national de désistements réciproque a complètement bouleversé la donne et transformé « l’extrême centre » de Macron et « la droite de gouvernement » en de simples composantes de la nouvelle union de la gauche. Il ne faut donc pas comparer le total des voix du bloc RN aux voix du front populaire d’une part, et à celles des macronistes d’autre part, mais le volumes des voix du RN à celui de l’ensemble des partis situés à sa gauche : dix millions d’une part et treize millions d’autre part. Nous retrouvons alors une corrélation normale entre le nombre de voix recueillies et le nombre de députés élus.
Les grands classiques
On sent bien que nous vivons actuellement une incroyable recomposition du paysage politique. Ce n’est pas la disparition des clivages droite-gauche, c’est l’absorption du centre et de la droite traditionnelle (à l’exception des ciottistes) par la gauche. Mélenchon, est bel et bien en train de ressusciter le communisme dans une version trotskiste OCI (Organisation Communiste Internationaliste), qui correspond à ses propres origines politiques.
Cette longue introduction, destinée à mettre en perspective le résultat du 7 juillet, nous indique que c’est le moment ou jamais de nous replonger dans les grands classiques de l’étude du communisme français. On pense à Jules Monnerot, à sa Sociologie du communisme et sa Sociologie de la Révolution, on pense à Roland gaucher et à son Histoire secrète du Parti Communiste Français, ou encore au Marxisme-Léninisme de Jean Ousset. Depuis peu, j’ajouterais volontiers l’excellente synthèse actualisée, parue il y a quelques semaines : La désinformation autour du Parti communiste « français » de Michel Festivi.
Le Nouveau Présent l’a déjà évoquée. Lectures françaises de juin a publié un passionnant entretien avec son auteur. « J’essaie, explique Michel Festivi, de relier l’histoire et l’actualité des communistes « français » et de ses soutiens, très nombreux à gauche mais aussi parfois à droite ». Nous y sommes en plein.
La lecture de ce livre, qu’il faudrait mettre entre les mains de toute la macronie et de toute la droite « de gouvernement » qui risque d’ailleurs d’être condamnée à ne plus jamais gouverner si Mélenchon et ses amis arrivent à leur fin, décortique très bien ce qui est en train de se passer sous nos yeux. Déjà des élus MODEM joignent leurs voix à celles des Insoumis pour appeler à une désignation de Mélenchon comme Premier Ministre. Perçoivent-ils la différence (de personnalité, de substrat idéologique, de méthodes) entre un Mélenchon et un Attal, par exemple ? Et même entre un Mélenchon et le reste de la classe politique ?
Une anecdote électorale pour finir
Faute de « Nuremberg du communisme », il y a urgence à diffuser le livre de Festivi, car notre monde politique a déjà oublié ce qu’est cette idéologie, ses méthodes et ses crimes.
Une anecdote électorale, pour finir : le candidat RN dans mon coin du bas-Berry avait obtenu 41,7% des voix au premier tour, face à un LR très macronpatible, si vous me permettez le néologisme. Je vois encore ce sympathique candidat m’exposer, sûr de lui, pourquoi il recueillerait au second tour les 23,5% des voix du Front populaire : détestation de Macron, sociologie identique des deux électorats etc. Dimanche dernier, il a été battu par 47% contre 53%.
Agathon
La désinformation autour du Parti communiste « français », par Michel Festivi, Dualpha, 2024, 344 p. 39€