Alsace

Des lieux où souffle l’esprit : Murbach, son ruisseau, son abbaye inachevée, sa porte étroite, sa grande gloire

A juste titre, tous les guides touristiques vous enjoignent de visiter les cités situées sur la route des vins d’Alsace (particulièrement dans le Haut-Rhin), Riquewihr et son Dolder, la vigne autour qui l’étreint, ses rues pavées pentues (si pleines de danger sous la glace en hiver), Kaysersberg, village de grand renom traversé par la Weiss et chapeauté de son Schlossberg, Turkheim, ville-rue protégée par son Untertor, sans oublier Colmar la perle du vignoble, Ribeauvillé où coule la Carola (eau de source purement locale), Eguisheim et ses maisons de poupées, Bergheim la ville close de murs moyenâgeux… où l’on se prend à croire rencontrer sur son chemin, la nuit venue ou dans le petit matin profond, quelques lansquenets prêts à maints combats, dirigés par le Wurtembergeois Götz von Berlichingen, en chair et en os, muni de sa main de fer toujours prompte aux tournois.

L’esprit des bois

Comme chantait Brassens, « C’est vrai qu’ils sont plaisants tous ces petits villages / Tous ces bourgs, ces hameaux, ces lieux-dits, ces cités /Avec leurs châteaux forts, leurs églises…/… Ils n’ont qu’un seul point faible et c’est d’être habités ! » S’il n’y avait que les locaux, les gens du cru… Passe encore ! Mais ces flots de touristes tout droit venus de la tour de Babel, dirigés par des guides agitant leur drapeau, leur Borobli (parapluie en alsacien, Regenschirm en allemand), leur hochet, ânonnant leur science en leur sabir nous donnent le tournis.

Haïssons, comme Horace, la foule des profanes, tenons-nous à l’écart afin de retrouver l’esprit des bois dans l’immense forêt domaniale de Guebwiller, des sources et des pierres, les ondes simples et salvatrices naturelles comme au bon vieux temps de « l’homme fossile », virtuose du gourdin, qui assommait bisons, aurochs et bonne fortune, et dont on sait si peu de choses. Habitait-il dans une grotte, couvert de poils et n’avait pas de culotte alors qu’ils habitait peut-être, comme dans la chanson de Serge Reggiani, un pavillon de banlieue ?

Ainsi que l’écrivait Brasillach, d’autres sont venus par ici… dont les noms sont à jamais marqués dans la pierre, la terre, l’air que l’on respire sous les nuages sans cesse en renouveau mouvant : Triboques, Mosellans en goguette (Médiomatriques), Alamans et Suèves avant que les Romains, puis les chrétiens guidés par des moines irlandais comme saint Colomban, ou saint Pirmin le Wisigoth, n’établissent leurs codes et leurs lois.

Dans les pas de Charlemagne

Le ruisseau Murbach rejoint la Lauch qui bientôt charge l’Ill de son eau fraîche et limpide pour traverser toute la plaine d’Alsace par le Grand Ried, contournant Colmar et enserrant littéralement Strasbourg avant de rejoindre le Rhin mythique. Après les « murmures de la forêt » mis en musique par Wagner (je ne parle pas ici de l’avocat émérite et vrai camarade gentil Georges-Paul), nous aurons « l’or du Rhin » tant il est vrai que Munchhausen, Seltz, et Strasbourg sont de nos jours encore des points renommés d’orpaillage un peu mystiques. Ce ru, la Murbach, est un nom composé du germanique muor (marais) et bach (ruisseau), d’où « le ruisseau du marais », Maurobaccus en 730, Murbachensis monasterium en 1049.

Au commencement, et au sortir de Guebwiller il y a la route arborée, passant par Buhl, qui monte, qui monte on ne sait où dans cette région sauvage dans une vaste solitude comme le dit la charte de l’année de fondation de l’abbaye en 727 par saint Pirmin et le comte Eberhard… et suivre le chemin de son cœur pour arriver, in fine, devant la porte étroite protectrice des bois et des fougères. Garez votre voiture sur le tout petit parking où l’eau sans fin s’écoule et passez sous la voûte sculptée, arborant un blason représentant un lévrier noir. Les abbés avaient obtenu de Charles Quint le droit insigne de battre monnaie (1544), ce qui fait que les Alsaciens eurent tôt fait d’inventer cette devise « Orgueilleux comme le chien de Murbach ». On à peine à croire à la toute-puissance et à l’influence liées à ce lieu aujourd’hui et pourtant… Pépin le bref et Charlemagne visitèrent l’abbaye, accordant maints privilèges permettant à Murbach de rayonner internationalement pendant cinq siècles durant. La ville de Lucerne, capitale du canton suisse éponyme a été fondée par l’abbaye de Murbach. « Bastion du catholicisme, Lucerne opposa une résistance zélée aux idées de la réforme, exerçant par ailleurs une influence profonde sur les autres cantons catholiques avec lesquels elle devait fonder la fameuse alliance militaire du Sonderbund » (Cf. La Suisse gourmande. Nestlé. Le tout premier livre que m’ait offert mon feu ami Claude Nobs, fondateur du Montreux Jazz Festival). On y pratique toujours une soupe de carême, fameuse et roborative, qui doit tout à l’Alsace et au comte Eberhard, membre de la famille de sainte Odile. Les promeneurs d’aujourd’hui se trouveront bien d’apposer leurs mains sur les pierres de l’église qui date du XIIème siècle, progressivement abandonnée en raison de sa position peu stratégique, de pratiquer véritablement un chemin de croix afin de prier gentiment dans la chapelle Notre-Dame de Lorette qui surplombe le site.

Franck Nicolle.

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