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Les lectures de Madeleine Cruz : Léon Daudet, l’homme aux mille vies littéraires

Les Editions de Flore publient, sous la plume de notre collaboratrice Anne Le Pape, une étude sur Léon Daudet, et plus précisément sur le Daudet critique littéraire. Car comme elle le rappelle dans son avant-propos, Daudet ne fut pas seulement un journaliste et polémiste de L’Action française et un militant nationaliste, il fut aussi et sans doute d’abord un découvreur de talents littéraires, rôle facilité, il faut le reconnaître, par l’amitié que lui portaient les frères Goncourt, et plus précisément par son siège à l’Académie Goncourt. En effet cette société littéraire fut, dès son lancement en 1903 (et elle reste, aujourd’hui encore), un formidable poste d’observation du monde littéraire, et un outil d’action en soutien à la littérature.

Mais Léon Daudet bénéficia aussi de son adhésion à l’Action française, – plus précisément de son adhésion aux idées de Charles Maurras -, et de son ralliement aux principes monarchistes. L’Action française – le journal quotidien comme le mouvement politique éponyme – fut en effet un formidable agitateur d’idées et un fédérateur de talents pendant la première moitié du XXe siècle. Aujourd’hui encore les héritiers de ce courant de pensée témoignent d’ailleurs de son dynamisme persistant : ainsi en août dernier, dans le centre de la France, ils étaient deux cents, réunis pour leur camp annuel, dans une ambiance à la fois studieuse et sportive. Moyenne d’âge : inférieure à trente ans. De même le catalogue de la Librairie de Flore (contact@librairie-de-flore.fr) témoigne du dynamisme persistant du maurrassisme, de l’influence et de la séduction que continue à exercer ce courant situé au carrefour du politique et du culturel. La Librairie de Flore revendique pour maîtres, dans son catalogue, Maurras, La Varende, Thibon, Bainville, Boutang, ce qui n’est pas une surprise. Mais elle incite aussi à lire Barrès, Hannah Arendt ou Simone Weil, et, pour les contemporains, Lugan, Sévilla, Raspail ou Philippe de Villiers, par exemple. Un éclectisme de bon aloi. Cette maison a publié à ce jour une trentaine de livres, dont des rééditions d’œuvres de Bainville, Bernanos, Maurras, Barrès, Thierry Maulnier ou Léon Daudet. Le petit format et le prix modeste de ces ouvrages sont inspirés des recettes qui firent le succès du Livre de Poche. La politique éditoriale des Editions de Flore se veut orientée vers un public jeune et donc forcément un peu désargenté. Léon Daudet, formidable touche-à-tout, n’aurait pas été dépaysé par l’ambiance des camps d’Action française d’aujourd’hui et par l’ébullition intellectuelle qui prévaut du côté des Editons de Flore, de la Revue Universelle, du Bien commun ou de Politique Magazine.

« repérer les meilleurs écrivains »

Mais quittons un instant le microclimat maurrassien d’aujourd’hui pour revenir à cette étude d’Anne Le Pape, publiée aux Editions des Flore, sur la critique littéraire telle que l’a pratiquée Léon Daudet pendant 40 ans, essentiellement dans les pages de L’Action française quotidienne. « Rappelons, écrit Anne Le Pape, qu’il fut le découvreur de Proust, de Bernanos, de Céline ». Joli tableau de chasse, certes, mais ce constat n’est pas nouveau. Tous les connaisseurs de ces écrivains majeurs du siècle passé le savent parfaitement. L’essai d’Anne Le Pape cherche plutôt, en fait, à nous faire comprendre pourquoi et comment Léon Daudet a été capable « de détecter précocement les aptitudes, de repérer dans la production de son temps les meilleurs écrivains » sans pour autant négliger d’autres auteurs contemporains ou plus anciens.

Le critique littéraire Stéphane Ciocanti, auteur d’ouvrages sur T.S. Eliot, Mishima, Boutang, Maurras ou les Daudet, préface cet essai. Il pense que ce qui a fait la supériorité de la critique littéraire pratiquée par Léon Daudet sur celle de beaucoup de ses confrères, c’est qu’elle était moins centrée sur les œuvres que sur les écrivains eux-mêmes. Ce n’est sans doute pas faux, et cela a parfois contribué à accrocher l’attention des lecteurs, à leur donner l’envie d’en savoir plus sur leurs œuvres. Mais peut-on vraiment soutenir que la personnalité du Docteur Destouches de 1932 était suffisante pour capter à elle seule l’attention des lecteurs ? Anne Le Pape consacre un chapitre très pertinent à l’enthousiasme de Léon Daudet pour Céline, qui repose très largement sur son amour de la langue française. Ce n,’est pas un hasard si Daudet a consacré un ouvrage à Rabelais (Un amour de Rabelais, 1933).

Concernant Proust, l’objection est encore plus évidente, même si, par Lucien Daudet, son frère, Léon connaissait forcément d’assez près le futur auteur d’A la recherche du temps perdu. Quand ils se rencontrent pour la première fois, en 1895, chez les parents de Léon, ce dernier a alors 28 ans et Marcel Proust 24 ans. Leur amitié durera jusqu’à la mort de Marcel. Mais Marcel, par son mode de vie, par son caractère, par sa santé chancelante, ne devait sans doute guère illustrer « la pulsion vitale » ou « la morsure de l’existence » qui, selon Stéphane Giocanti, constituait le principal moteur des critiques littéraires de Léon. C’est qu’il y avait sans doute autre chose, aussi.

Contre le classicisme systémique

Sur ce plan, j’adhèrerais plus volontiers à l’explication d’Anne Le Pape qui, dans son analyse des principes de la critique littéraire telle que pratiquée par Léon Daudet, place au premier rang son non-conformisme. « Il s’inscrit hors de toutes les normes » écrit-elle. Fils d’Alphonse, qui est alors une sommité des lettres, « sa personnalité propre se révèle assez forte pour échapper à l’emprise dangereuse que peut constituer la gloire paternelle ». De même le classicisme de Maurras, intellectuel et homme politique que Léon admirait pourtant infiniment, ne l’a jamais conduit à s’autocensurer dans les pages de L’Action française (et Maurras ne l’a pas davantage censuré).

Anne Le Pape cite Léon à ce propos : « En médecine, en littérature, en art, on ne peut rien faire de bon si on se parque dans une école, si l’on se fie à une doctrine ». Léon détestait l’académisme littéraire au point de crier au génie quand il découvre (le premier) l’écriture incandescente de Céline, malgré ses diatribes anarchistes et antimilitaristes. C’est l’écriture, je crois, qui l’interpelle, pas les « messages » ni la personnalité de cet inconnu, obscur médecin de banlieue.

Concernant la méthode utilisée par Léon pour rédiger ses critiques littéraires, Anne Le Pape explique qu’il entendait s’installer « au centre de l’œuvre qui fait l’objet de l’étude ». Il disait aussi qu’il « part du centre, s’identifie autant que possible à l’auteur, cherche à pénétrer ses intentions, s’efforce de sentir comme lui, de réagir comme lui, en démêlant les raisons pour lesquelles il s’est trouvé ainsi disposé, les caractères qui en résultent dans sa façon de penser et d’écrire. Il s’agissait en fait de « sentir » une œuvre avec tout son être (…), de savoir exprimer de façon claire ce sentiment, de le faire partager au lecteur et lui donner envie de découvrir à son tour, par lui-même, le livre dont il est question ».

Ces principes, et cette méthode, Léon Daudet les a appliqués dans quelques milliers d’articles de critique littéraire (il est l’auteur, rappelons-le, de neuf mille articles de presse et de cent vingt-huit ouvrages, dont de nombreux recueils de critiques). Et globalement avec des fulgurances qui ne devaient rien au hasard.

Madeleine Cruz

Léon Daudet critique littéraire, par Anne Le Pape, Editions de Flore, sept. 2024, 270 p.

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