Liban

L’Iran est-il en train de « perdre » le Liban ?

Depuis l’élimination de Hassan Nasrallah le 27 septembre dernier et la nomination comme secrétaire général du Hezbollah par Téhéran du laborieux Cheikh Naïm Kassem, c’est un véritable ballet d’officiels iraniens qui se succèdent à Beyrouth. Après le ministre iranien des Affaires étrangères et le président du Parlement, c’est le propre conseiller du guide suprême iranien, Ali Larijani, qui a atterri vendredi dans la capitale libanaise.

Tout en usant d’un langage qui se voulait diplomatique, l’ayatollah Larijani est de toute évidence venu s’assurer de la pérennité de la soumission des autorités libanaises officielles à la République islamique et apporter son soutien moral à son bras armé au Liban, soumission de plus en plus ébranlée par l’affaiblissement croissant du Hezbollah sous les frappes ciblées israéliennes, mais également du fait de l’exaspération grandissante de l’opinion publique, y compris chiite, devant la destruction d’une grande partie du Liban dans une énième guerre « pour les autres » . Interrogé sur l’application de la Résolution 1701 de l’ONU qui stipule le retrait du parti chiite des zones situées au sud du Litani et le déploiement de l’armée libanaise jusqu’à la frontière, conditions sine qua non à la trêve qui a mis fin au conflit de 2006, jamais été mise en œuvre par les autorités officielles ni par le Hezbollah, Ali Larijani a soigneusement veillé à lier tout nouvel accord à l’approbation de ce dernier. « Tout ce que les autorités du Liban et la résistance libanaise pourraient accepter, nous sommes pour », a-t-il affirmé avant de commenter la médiation des États-Unis pour obtenir un cessez le feu en assurant que « Téhéran ne cherche pas à torpiller quoi que ce soit (…) Nous cherchons des solutions. Nous soutenons la nation libanaise en toute circonstance » avant de lancer « Celui qui torpille tout, c’est Netanyahu. Vous devez faire la distinction entre vos amis et vos ennemis », oubliant opportunément que Hassan Nasrallah s’était bien gardé de consulter l’Etat libanais en ouvrant unilatéralement un « Front de soutien à Gaza » le 8 octobre 2023, entrainant le pays tout entier vers sa destruction. En bref, oui à un accord, mais pas sans l’Iran.

Pour sa part, le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, qui se souvient du principe de la Souveraineté nationale depuis quelques semaines au fil du pilonnage répété de la milice chiite, a appelé la République islamique à « ne pas prendre des positions qui favorisent une partie aux dépens des autres et qui suscitent des sensibilités parmi les Libanais ». Cité par une source de l’Orient-le Jour au Sérail, il a souligné qu’il faut « soutenir la position de l’État libanais sur une application de la 1701, ainsi que l’unité nationale libanaise, Beyrouth donnant la priorité à la fin des hostilités israéliennes contre le Liban et à l’application de la 1701 dans son intégralité, sans aucun amendement ou interprétation ». Lors du sommet arabe et islamique qui s’est déroulé à Riyad en début de semaine, Mikati a appelé à « mettre fin aux ingérences étrangères et à soutenir l’État et non les factions ». Il y a un mois, et pour la première fois de sa carrière politique menée toute entière sous l’ombre de l’axe pro-iranien, il avait déjà accusé ouvertement l’Iran d’ingérence et de « tentative de mise sous tutelle » en réaction à une déclaration du président du Parlement iranien, Mohammad-Bagher Ghalibaf, qui avait affirmé dans un entretien au Figaro que Téhéran était prêt à négocier directement avec Paris un cessez-le-feu au Liban, suscitant également l’ire de l’allié historique du Hezbollah et indétrônable Président de la Chambre Nabih Berry.

Dans la même veine, l’incontournable chef druze et ancien leader du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt, tout aussi proche de l’axe iranien, a refusé une invitation à rencontrer l’Ayatollah Larijani : « Je ne suis pas prêt à cela tant que la République islamique d’Iran considère le Liban comme une arène ouverte pour un conflit ou une guerre par procuration avec les États-Unis et Israël. Nous avons eu suffisamment de guerres par procuration, depuis l’époque des Palestiniens jusqu’à la période syrienne », a-t-il affirmé dans un soudain réveil patriotique.

Enfin, signe des temps et du déclin de l’influence de la République islamique d’Iran au pays des cèdres, pour la première fois depuis des décennies, une délégation de l’ambassade d’Iran venue accueillir Ali Larijani à son arrivée à l’aéroport international de Beyrouth le 15 novembre a été contrainte de se soumettre aux contrôles de sécurité d’usage. Invoquant l’immunité diplomatique, l’équipe iranienne a dans un premier temps refusé catégoriquement d’obtempérer aux ordres des agents de l’Etat. Le général Fadi Kfoury, chef de la sécurité, est alors intervenu en informant les récalcitrants qu’il avait reçu des instructions strictes pour que toutes les délégations qui accompagnent ou accueillent les personnalités diplomatiques soient fouillées, avant d’ordonner le verrouillage de toutes les portes d’accès au salon d’honneur de l’aéroport. La délégation iranienne a fini par céder et se soumettre aux mesures d’inspection exigées. L’anecdote est significative, l’aéroport ayant été jusqu’à l’offensive israélienne du 20 septembre dernier sous le contrôle total du Hezbollah. Plusieurs sources concordantes affirment que les Etats Unis ont alors exigé que la sureté de l’aéroport soit entièrement placée sous la responsabilité de l’armée libanaise, en échange d’une garantie de protection du tarmac, du bâtiment et de ses voies d’accès contre tout bombardement israélien.

Charbel Bou Haddad

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