En classant de veilles archives de mon cher grand-oncle Brigneau, archives destinées à rejoindre celles de l’Institut Emmanuel Ratier, cet Institut étant une sorte de « mémoire des droites françaises », je suis tombée sur une collection de Figaro littéraire des années 1990, pliée et pieusement conservée.
En mars 1991, le supplément littéraire du quotidien avait donné la parole aux écrivains les plus en vue du moment pour qu’ils s’expriment sur ce qu’ils lisaient quand ils avaient quinze ans.
Le première constatation, c’est que la quasi-totalité de ceux qui avaient répondu à l’enquête sont morts, aujourd’hui. Pourtant les années 1990, c’est certes ma jeunesse, mais c’est hier, aussi, me semble-t-il. A cette époque, Félicien Marceau, Michel Déon, Geneviève Dormann, Jean-Louis Curtis, Jacqueline de Romilly, Emmanuel Leroy-Ladurie et tant d’autres écrivains que j’admire aujourd’hui et que je lis volontiers, étaient encore en vie. J’aurais pu les rencontrer, leur parler, me pousser un peu du col auprès d’eux. C’est trop tard, et je n’ai que des regrets.
L’autre constat, c’est que ces intellectuels avaient de drôles de lectures pour 15 ans, me semble-t-il. Pour sa part Jean d’Ormesson prétend qu’à quinze ans il commençait à lire Proust ; Félicien Marceau explique qu’à ce même âge il découvrait Léon Bloy : « j’y retrouvai tout ensemble le catholicisme dans lequel je baignais, et l’esprit de révolte ou de ronchonnement qui était le mien ». Geneviève Dormann et Michel Déon avalaient du Gide à haute dose. « Je ne lisais déjà plus de littérature pour la jeunesse à quinze ans », écrit Michel Déon. Il ajoute que Les nourritures terrestres l’ont marqué. « Cela m’a conduit à lire tout Gide et à m’en dégoûter un peu à la longue ». Ouf ! Geneviève Dormann lui préférait Les caves du Vatican, roman qui n’a pas pris une ride, expliquait-elle en mars 1991. Robbe-Grillet s’était passionné pour Kafka, Sollers pour Baudelaire, Jean-Louis Curtis pour Bergson, François Nourissier pour Montherlant, et Emmanuel Le Roy-Ladurie pour Bergson.
A haute dose mais pas toujours avec plaisir.
Moi qui ai à présent l’âge de ces illustres écrivains quand ils répondaient à l’enquête du Figaro littéraire, que pourrais-je répondre? A quinze ans, je préparais mon bac de français, et, sur les conseils d’un grand cousin qui était une sorte de dieu pour moi, je lisais Victor Hugo, Stendhal, Balzac. A haute dose mais pas toujours avec plaisir.
J’ai l’impression que ceux de mes neveux qui approchent ce même âge lisent surtout des mangas. Mais s’ils m’interrogent (et même s’ils ne m’interrogent pas), quels conseils de lecture pourrais-je bien leur donner ? Les garçons sont mûrs plus tard que nous, quoi qu’en disent les intégristes de l’égalitarisme des genres. C’est pourquoi je pense que mes neveux de quinze ans (et plus) peuvent se mettre à lire Conan Doyle, Jack London et Alexandre Dumas, qui sont de tous les pays et de tous les âges à partir de quatorze ou quinze ans. Ils rejoindraient ainsi mes nièces qui lisent sans doute déjà depuis longtemps ces auteurs.
Ensuite je leur conseillerais de venir picorer dans ma bibliothèque pour se plonger dans Marcel Aymé, Jacques Perret, Jean Raspail, Sylvain Tesson, Dans un autre genre, je leur mettrais de force entre les mains, les romans de Saint-Loup, et je les inciterais aussi à lire (ou mieux, voir jouer) les pièces d’Anouilh et de Guitry.
Mais je leur conseillerais de ne pas négliger non plus les talents d’aujourd’hui, émergeants ou déjà bien en place. Je pense à Olivier Maulin, Patrice Jean, Bruno Lafourcade, et au regretté Benoît Duteurtre.
Surtout je chercherais à leur donner le goût de la lecture à haute dose. La lecture enchante une vie entière, quand les livres sont bien choisis. Et en conséquence je les abonnerais à vie à la revue Livr’arbitres.
Madeleine Cruz