Le poète Maurice Rollinat (1846-1903) était régulièrement visité par des fantômes. Toute son œuvre est imprégnée de ces figures spectrales et sinistres. On pense à ses œuvres les plus connues : Dans les brandes (1877) et Les Névroses (1883). Les névroses est un recueil quilui a valu d’être comparé à Baudelaire. Son ami Barbey d’Aurevilly le trouvait même nettement supérieur à Baudelaire, plus tragique, peut-être, plus macabre, certainement. Toute la poésie de Rollinat ou presque est imprégnée d’étrangeté : la mort, qui rode, le diable, qui se dissimule, la souffrance, le fantasmagorique.
D’une certaine façon, à la fin du XIXe siècle, Rollinat représentait une sorte de caricature du poète, ou pour le moins un archétype : son visage était blême, ses yeux noirs, sa moustache abondante et en crocs, ses cheveux en bataille, comme la crinière de quelque animal blessé. On ne le voit sourire ou même présenter un visage aimable sur aucune de ses photos. Pas plus d’ailleurs que sur les nombreux portraits qu’ont fait de lui plusieurs des quelques quatre cents artistes (dont certains très célèbres) qui vinrent visiter et peindre la vallée de la Creuse à cette époque-là, la fameuse « école de Crozant », l’équivalent de l’école de Barbizon, mais au sud de la Loire.
Rollinat quitte Paris en 1883, au moment précis où le succès vient frapper à sa porte, faisant émerger son nom parmi la masse des poètes et « rimailleurs » du temps. Il quitte donc aussi le célèbre Cabaret du Chat noir, où, excellent pianiste, il mettait en chansons ses poèmes et ceux de Baudelaire, et le club des Hydropathes, où se retrouvaient nombre d’artistes et d’intellectuels de sa génération.
Il part s’installer à Fresselines, dans la Creuse, à la limite sud du Berry, village perdu dans une nature préservée. C’est une sorte d’enterrement de première classe, ce qui semble être en accord avec sa nature profonde. Il n’a alors que 37 ans.
Retraite quasi monastique
Un remarquable petit ouvrage intitulé Les visiteurs de Maurice Rollinat à Fresselines (Creuse) nous raconte ce que fit, et surtout qui rencontra notre poète, à partir de sa retraite quasi monastique dans cette vallée, de 1883 à 1903, année de sa mort.
Pierre Brunaud, l’auteur de cette étude, est ce que l’on pourrait appeler un « érudit local ». On lui doit de nombreux ouvrages sur l’histoire de cette région, et spécialement sur l’histoire de la vallée de la Creuse, rivière que son père, libraire à Argenton, avait mis en vers. Notre spécialiste s’est livré à une enquête pratiquement policière pour savoir qui fréquenta Rollinat, après qu’il ait déserté Paris, qui, parmi ses anciens amis parisiens, a fait le voyage à Fresselines, à une époque où un tel voyage était encore une aventure.
La surprise, c’est de découvrir que ces visiteurs furent en fait très nombreux. Rollinat a pris la succession de feue George Sand dans ce rôle de promoteur des charmes et des mystères du Berry. Il a su, après « la bonne dame de Nohant », attirer là érudits, artistes et simples curieux. On trouve d’abord les notables de la région : médecins, avocats, juges, pharmaciens, hauts fonctionnaires, prêtres, Mais la réputation de Rollinat, ses invitations fréquemment renouvelées, ont aussi attiré dans cette vallée nombre d’écrivains et de journalistes, voire même des hommes politiques de premier plan. Le peintre Claude Monet a passé plus de deux mois dans le village de Rollinat, dînant chez lui chaque soir. Monet a peint là vingt-quatre tableaux, qui comptent parmi ses œuvres les plus célèbres. Bien d’autres peintres connus ont séjourné dans cette vallée, pour rencontrer Rollinat, pour l’entendre chanter ses poésies, et pour peindre « sur le motif », c’est-à-dire hors de leur atelier.
D’Arsène Lupin à Léon Daudet
Parmi les Parisiens qui furent invités à la Pouge (la petite maison de Rollinat, située dans le village de Fresselines), on trouve aussi le romancier Maurice Leblanc, « père » d’Arsène Lupin, ou encore Léon Daudet, venu en janvier 1899 (ou peut-être 1900 ou 1901). Léon Daudet avait très certainement fait la connaissance de Maurice Rollinat chez son père, Alphonse Daudet, « où Rollinat se rendait assez souvent », précise Pierre Brunaud.
Autres visiteurs de marque : le journaliste Delcassé, qui deviendra ministre des affaires étrangères sous la IIIe République, ou encore l’avocat, journaliste et poète Georges Fourest (avocat…loin de la cour d’Appel, précisait-il), qui reste dans toutes les mémoires, par ses romans un tantinet rabelaisiens, constamment réédités : La négresse blonde, Contes pour les satyres ou encore Le géranium ovipare etc.
L’ouvrage de Pierre Brunaud modifie l’image de misanthrope que l’on a parfois gardé de Rollinat. Malgré son retrait volontaire et si précoce de la vie parisienne, on ne peut que constater à quel point ce poète a joué un rôle fédérateur chez les intellectuels et artistes de sa génération.
Francis Bergeron
Les visiteurs de Maurice Rollinat à Fresselines (Creuse) par Pierre Brunaud, 2024, sans nom d’éditeur, 12 €.
Renseignements auprès des amis de Maurice Rollinat, Mairie d’Argenton-sur-Creuse 36200.