Raspail

Attention chef d’œuvre : un roman « japonisant » de Jean Raspail oublié depuis 50 ans !

Nous savons tous que Jean Raspail est un écrivain contemporain majeur, et plus que cela, un visionnaire, qui a changé notre regard sur l’époque. Mais nul ne prétend habituellement que c’est un écrivain qui fait rire ou sourire. Nous sommes certes parfois dans la dérision teintée d’humour, avec le côté don Quichotte d’Antoine de Tounens, mais c’est toujours le tragique et l’émotion qui l’emportent, en fin de compte.

Or il se trouve que Raspail a écrit un roman, un roman de jeunesse, qui était totalement oublié. D’autant plus oublié que sa première édition, en 1958, avait été publiée chez Julliard sous le titre très banal suivant : Le vent des pins. Le titre était d’ailleurs suivi d’un sous-titre entre parenthèses : (Matsukazé) guère davantage explicite.

Son unique réédition, en 1970, chez Julliard, le même éditeur, mais avec une reliure cartonnée et une jaquette colorée, portait un titre totalement différent, mais beaucoup plus en rapport avec le sujet du livre, comme vous le découvrirez, si vous le lisez, ou plus exactement quand vous l’aurez lu : Bienvenue honorables visiteurs.

Longtemps j’ai cru, dans ma chasse à l’exhaustivité des écrits de Raspail, qu’il s’agissait de deux ouvrages différents. Je vous avouerais d’ailleurs que je ne l’avais pas lu, ceci pour une raison très simple : lors de sa venue pour l’inauguration d’un vice-consulat de Patagonie, dans le Bas-Berry, en février 1986, j’avais demandé à Raspail de me dédicacer ce Vent dans les pins, et ce dernier m’avait dit, puis écrit, dans l’envoi, qu’il s’agissait d’un « roman de début (pas très bon) ». C’est seulement de nombreuses années plus tard, à l’occasion d’une interview pour Présent ou pour une autre publication, qu’il m’avait dit ou rappelé que Bienvenue honorables visiteurs était en fait le même livre sous un nouveau titre pratique assez peu courante au demeurant.

Je possède bien évidemment les deux versions dans ma bibliothèque « raspaillienne », mais c’est seulement en lisant dans Le Figaro Magazine du 27 décembre, sous la plume de Christian Authier, que ce roman venait d’être réédité, plus d’un demi-siècle, donc, après la réédition de 1970, que je me suis dit qu’il fallait que je le lise enfin. Christian Authier, dans sa critique, évoquait un roman « mordant, goguenard, parfois féroce », alors que je l’imaginais comme le pensum d’un homme jeune, cherchant sa voie, une sorte de « devoir sur table », conclusion d’une année passée au Japon. .

Raspail a en effet vécu une année au Japon. Il s’agissait évidemment du Japon des années 1950, qui se relevait à peine d’une guerre, terminée pour ce pays par une amère et terriblement mortifère défaite, sans grand rapport avec le Japon des années quatre-vingt et suivantes, chef de file des nouvelles technologies.

Fable hilarante

Raspail nous raconte les péripéties d’un voyage organisé par une agence spécialisée dans le tourisme élitiste. Six occidentaux fortunés débarquent donc à Tokyo. Ils sont pris en charge par le tour operator (on n‘employait pas encore cette expression, à l’époque), qui prévoit de leur montrer le Japon qu’ils imaginent et qu’ils idéalisent, en effaçant tout ce qui n’irait pas dans le sens de l’exotisme attendu.

D’un bout à l’autre du roman, Raspail joue les pince-sans-rire. C’est en fait un très bon livre, qui aurait pu faire aussi un très bon film, une comédie à l’anglaise, si l’on vent. Le document, semi-ethnographique, se transforme en fable hilarante. Le ton est d’ailleurs donné dés le début du roman, car le narrateur explique, dessin à l’appui, que pour aller d’une idée A à une idée B « l’Occidental suit en général un processus de pensée simple, qu’on peut figurer par une ligne droite », tandis que « le même trajet entre A et B suivi par un cerveau japonais » se présente comme un véritable écheveau. Tout le roman est une suite d’anecdotes venant à l’appui de ce diagnostic préliminaire.

On rit souvent en lisant cette histoire, et on sourit tout le temps.

En refermant le livre, j’ai vraiment regretté de ne pas avoir pu en discuter avec Raspail. L’académicien André François-Poncet, ami du père de Jean Raspail, lui avait dit, parait-il, qu’il n’était pas assez mûr pour publier un tel roman. J’aurais aimé dire à Raspail que François-Poncet s’était lourdement trompé, comme la suite l’a d’ailleurs amplement démontré ! Ce roman a toute sa place dans votre bibliothèque, mais n’espérez pas dénicher l’édition originale ou la réédition de 1970. Les tirages avaient été modestes, et les bibliophiles sont tous à l’affut.

Francis Bergeron

Bienvenue honorables visiteurs, de Jean Raspail, ill. d’Emma La Maôve, Ed. Sept cavaliers, 288 p., 2024

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