Depuis 1283, ce qui ne nous rajeunit pas, chaque jeudi précédant mardi gras (47 jours avant Pâques), la petite mais charmante cité médiévale de Bazas célèbre la fête des bœufs gras au cours de laquelle sont exposés dès potron-jacquet les plus beaux modèles. Parés de rubans et de couronnes fleuries, les animaux défilent au son des fifres et des tambours dans les rues avant d’être jaugés, notés, puis décorés de glorieux lauriers.
La Bazadaise fait la fierté du terroir à la gastronomie réputée (tomates de Marmande, cèpes de Bordeaux, foie gras, salaisons, charcuteries, confits…). C’est une dynastie bovine bouchère jalousement locale dont le cheptel est presque confidentiel, bien moins répandu par exemple que celui de la Blonde d’Aquitaine, locale elle aussi. Jacques Chirac s’exclamait d’ailleurs au salon de l’Agriculture en 2006 : « La Bazadaise, c’est la plus petite des races à viande française, mais c’est la meilleure », et pour une fois il ne se trompait pas. Les bestiaux sont impressionnants par leur taille, trapus, musculeux, forts. Aussi le rustique et noble bovidé servait-il naguère au débardage dans la grande forêt des Landes. Sa robe grise évoque la cendre. L’entourage des muqueuses est clair comme farine franche. Le regard des bêtes est doux dans la paix des prés, mais un tantinet inquiet lors de la célébration.
Pas morts, les cadets de Gascogne !
Bazas, c’est le cauchemar des mondialistes, des Sörös père et fils, des BHL, des Attali, des Van der Leyen, des tocards wokes de toutes sortes blanchis sous le harnais, des chevaux de retour, des propres à rien déracinés et des déconstruits. Visez un peu, mon n’veu ! L’écu de la cité est fidèlement fleurdelysé, la cathédrale fréquentée et fleurie en toutes saisons par des mains et des cœurs anonymes rayonne en toute majesté sous les rayons de soleil du ponant (orientation parfaite est-ouest de l’édifice). Les habitants passablement chauvins, hélas, demeurent jaloux de leur diocèse clos par une enceinte de murs de pierre moyenâgeuse où l’on se sent si bien. La jeunesse qui y habite est celle des cadets de Gascogne, « parlant blason, lambel, bastogne, œil d’aigle, jambe de cigogne, ils vont coiffés d’un vieux vigogne, fendant la canaille qui grogne, tous plus nobles que des filous », comme écrivait Edmond Rostand dans son Cyrano de Bergerac (ville voisine).
C’est bien vrai que les gamins sont tout heureux et fiers de porter leur « tarte », le large béret basque adopté par les chasseurs alpins, artilleurs de montagne ou fantassins du régiment frère, mais aussi par la milice et les Chantiers de jeunesse dirigés par le général Joseph de La Porte du Theil. Le jour de la fête des bœufs gras, il faut les voir sur leurs échasses, qui vous bravent du regard, bretteurs et menteurs sans vergogne, chaussés d’espadrilles (ces fragiles godasses en toile préférées du gâ Brasillach pour guincher et faire le beau sur la plage de Collioure), de chaussettes en laine tricotées main (littéralement inusables et que l’on peut rabibocher à convenance en vrai célibataire), vêtus d’un sobre gilet brodé gris, d’un pantalon noir et d’un paletot laineux et moutonneux à souhait. Les petits et grands garçons sont sur leurs échasses mais les gentes demoiselles arborent leurs atours les plus identitaires sous des robes et des coiffes traditionnelles qui me font penser aux poupées des magasins de souvenirs de naguère.
Depuis Jules César, une histoire immémoriale
C’est dans ce cadre très très ancien, située à équidistance de Bordeaux et de Mont-de-Marsan, médiéval, catholique et landais toujours, que le roubaisien Bernard Arnault a marié sa fille, l’accompagnant jusque devant le maître-autel de la cathédrale Saint Jean-Baptiste, il y a vingt ans déjà. Tout le monde en parle encore. Pensez donc ! Toute la famille avait pris ses quartiers au Domaine de Fompeyres. J’y ai vécu six mois, aussi suis-je assez bien placé pour vous inviter à y résider une nuit. La bâtisse est de caractère, au calme, les chambres grandes et confortables, le jardin à l’anglaise agréable avec ses séquoias centenaires qui ont pourtant bien dérouillé lors d’une grosse tempête en 2008. Le spacieux et clarteux restaurant a vue sur l’église, la cité et ses remparts sud. Pour la tortore, je ne dirai rien. Si ce n’est que la carte parait cohérente et les prix en rapport. Depuis ce trou de verdure où chante une rivière (Le Beuve), accrochant follement aux herbes des haillons d’argent, nous accéderons aux remparts sud, pavés, olfactifs et floraux. Nous regarderons les arbres hauts soigneusement plantés qui toisent le ru et semblent affronter par leur élégance légère, la masse de pierre de la forteresse et nous prendrons pitié de leur faiblesse, de leur audace vaine. Nous en irons promenade de la Brèche en remplissant nos gourdes à l’abreuvoir et nous ferons tout le tour du bourg. Voici le jardin du chapitre, la maison de l’astronome, le présidial, l’église du Mercadilh, le jardin du sultan, la porte du Gisquet monumentale d’où l’on s’attends à voir surgir, quand sonne l’olifant, quelque preux chevalier en armes ou autre mousquetaire de la garde.
L’histoire de Bazas est immémoriale et les Bazadais de souche demeurent issus des Vasates (en gascon Bazats, Vasats). Reconnue comme l’une des premières villes de l’Aquitaine, talonnant Dax, Toulouse ou Bordeaux du temps que Jules César chargeait Marcus Licinius Crassus de la domestiquer; c’est aujourd’hui quasiment un village où vivent moins de cinq-mille habitants. Charlemagne y édifia une école en 774, sacré Charlemagne ! Tout à côté, près de la Réole, Wallia le chef des Wisigoths fonda le château d’Aillas au Ve siècle. Il fut détruit par les Normands qui pillèrent au passage, en 853, Langon, port principal du Bazadais.
Mais demeurons dans la commune, faisons la fête jusqu’au soir. Par ici Saint-Emilion ! Entre-Deux-Mers… A moi Château d’Yquem, de préférence 1967, c’est mon préféré. J’en ai tant bu et tant ouvert par sottise et par ignorance, une caisse de six en une seule semaine. De ces bouteilles d’or qui valent de nos jours, à la pièce, autour de mille trois cent euros en parité avec le franc suisse. Mon ami Claude Nobs me le pardonne, c’est lui qui m’invitait, ce brave, à servir au vaguemestre ce qui se faisait de mieux. J’ai obéi et qui a bu boira !
Les cruchons finis, les reliefs de bonne chère remisés au garde-manger, vienne la nuit. Demain il fera jour, une belle occasion pour oublier la foule, l’ivresse, la musique, le vacarme et se promener autour des bords du lac de la Prade où l’on peut, quand c’est la saison, récolter quelques baies de genièvre et des pleurotes du peuplier, très bon comestible et champignon assez rare, que nous ferons sauter brièvement à la poêle, sans ail, sans persil, seulement sel et poivre du moulin, graisse de canard ou saindoux, c’est tout, en accompagnement de cul noir de Bigorre et de pain rustique encore chaud.
Franck Nicolle
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