Entretien avec Nicolas Gauthier, auteur de Le Pen comme vous ne l’avez jamais lu aux éditions Déterna
Nicolas Gauthier a été journaliste à Présent, Minute, National hebdo, Flash, Le Choc du mois ; il collabore désormais à Éléments et à Boulevard Voltaire.
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)
« Qu’il ait voulu le pouvoir est une évidence. Qu’il s’en soit véritablement donné les moyens, c’est évidemment une autre histoire. En revanche, son rôle de vigie, de Cassandre, de “lanceur d’alerte”, tel qu’on dit aujourd’hui, il l’a mieux que tenu. C’est ce Le Pen là, ce “célèbre inconnu” que j’ai précisément voulu faire mieux connaître »
On peut s’inquiéter de la publication d’entretiens recueillis voici dix ou vingt ans (pour le plus ancien)… Sont-ils seulement des témoignages historiques ou sont-ils toujours pour la plupart d’actualité ?
Il en faut décidément peu pour vous inquiéter. Se demande-t-on si les écrits de Charles-Maurice Talleyrand ou de Jacques Bainville sont toujours pertinents en matière de politique étrangère ? Non. Quand je m’entretiens avec Jean-Marie Le Pen, nous évoquons évidemment l’actualité ; mais cette dernière n’est rien s’il n’est pas fait référence à l’histoire, sachant que seule la connaissance du passé permet de mieux comprendre le présent tout en appréhendant l’avenir. En revanche, dans tout discours, qu’il soit religieux, politique ou les deux à la fois, il convient de distinguer la part de « l’esprit » et celle de la « lettre ». La première est intemporelle ; la seconde circonscrite aux contingences du moment, est susceptible de vieillir, même si remise dans son contexte. Mais, quand on fait de la politique, tel que mon auguste interlocuteur, ou du journalisme politique, à l’instar de ma modeste personne, il faut prendre les deux en compte. Après, une connerie proférée, même il y a mille ans, demeurera toujours une connerie. Mais Jean-Marie Le Pen n’en disait que fort peu.
Vous tenez Jean-Marie Le Pen pour être « l’inconnu le plus célèbre de France »… Vraiment ?
Je persiste et je signe. Peu de mes confrères ont tenté de sincèrement percer à jour sa véritable personnalité, préférant trop souvent s’en tenir à l’écume de la vague et aux clichés en vogue. Reductio ad hitlerum oblige, il était un fait médiatiquement acquis que Le Pen était un « nazi », nazi métaphorique a minima. Or, un « nazi », c’est le diable et chacun sait qu’on ne discute pas plus avec Hitler que Lucifer. Certes, quelques rares confrères, du Monde ou de Libération, concédaient en privé que le « monstre » était d’un commerce agréable et qu’on s’amusait plus à suivre le Front national que La France insoumise. Mais de telles confessions avaient évidemment toujours lieu en privé, loin des caméras et, surtout, de leurs employeurs respectifs. Bref, ils savaient eux aussi, tout comme Lionel Jospin, que cet « antifascisme » n’était que du « théâtre »…
Mais alors, pourquoi ne disaient-ils pas ce qu’ils savaient, que Jean-Marie Le Pen n’était pas le monstre qu’on disait ?
Pour éviter que leurs lecteurs ne se désabonnent, tout simplement ! Quand on achète Le Monde ou Libération, ce n’est pas pour y lire du bien du président du Front national ! A contrario, quand on commande vos livres ou qu’on va sur le site de Boulevard Voltaire, ce n’était pas pour y lire du mal du Menhir.
Sur l’islam et l’immigration, il tient parfois des propos qui peuvent heurter la frange identitaire de l’électorat du RN. Était-il véritablement sincère ?
Oui. L’homme était ainsi fait qu’il était assez peu doué pour le mensonge. Il n’était pas dans une optique de choc des civilisations et tenait, à l’instar de Marine Le Pen, à ne pas se laisser entraîner dans une guerre des religions. Ainsi pouvait-il se montrer critique quant à l’islamisme politique, mais se montrait toujours respectueux vis-à-vis de l’islam, allant jusqu’à assurer qu’on pouvait être à la fois musulman et patriote français sincère. Quand on sait que près de 15% de nos compatriotes de confession musulmane votent pour le Rassemblement national, une telle position m’a toujours parue éminemment censée.
Quels souvenirs personnels gardez-vous de vos rencontres ?
Beaucoup d’éclats de rire. Le Pen était un marrant, toujours prêt à raconter une bonne blague et à se poiler aux vôtres. L’homme était aussi d’une gentillesse exquise, même s’il lui arrivait parfois d’entrer dans des colères noires pour redevenir affable quelques poignées de secondes plus tard. Surtout, il n’avait que faire des convenances bourgeoises. Sans faire offense à sa mémoire, c’était un peu son côté Chirac. Lui aussi passait parfois pour un rustre auprès de la frange versaillaise de son parti. Ce qui explique l’équipée d’Édouard Balladur à l’élection présidentielle de 1995. On disait que Chirac était une machine à perdre et qu’il multipliait les calembours douteux. Le résultat est connu.
Vous évoquez ces gens de droite, sceptiques quant à Jean-Marie Le Pen, qui assuraient que jamais il n’avait sérieusement voulu prendre le pouvoir. Votre avis ?
Qu’il ait voulu le pouvoir est une évidence. Qu’il s’en soit véritablement donné les moyens, c’est évidemment une autre histoire. En revanche, son rôle de vigie, de Cassandre, de « lanceur d’alerte », tel qu’on dit aujourd’hui, il l’a mieux que tenu. C’est ce Le Pen là, ce « célèbre inconnu » que j’ai précisément voulu faire mieux connaître.
Le Pen comme vous ne l’avez jamais lu, Nicolas Gauthier, Éditions Déterna, collection « Autant en emporte le temps », préface de Philippe Randa, 158 pages, 21 € ; pour commander ce livre, cliquez ici.
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