Turquie

La Turquie, entre coopération et tensions

(entretien avec  Patrick Brunot)

Patrick Brunot vient de publier aux Éditions de L’Æncre   Géopolitique de la Turquie

(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul).

« Il est évident que la définition de la démocratie pour les Turcs n’est pas la même que pour les autres pays d’Europe »

Pourquoi vous êtes-vous intéressé à la Turquie et à sa place dans le monde ?

Je me suis intéressé à plusieurs pays, mais me suis interrogé sur la Turquie car je ne comprenais pas les exercices d’équilibrisme que fait la diplomatie turque en adhérant à l’OTAN tout en achetant des armes à Moscou, en reconnaissant Israël tout en ayant de bonnes relations avec l’ensemble des États musulmans, en renonçant à l’Union Européenne tout en reconnaissant qu’elle est son premier partenaire commercial, et plus récemment en refusant d’appliquer les sanctions à l’égard de la Russie tout en soutenant la résistance ukrainienne.

La Turquie veut–elle toujours autant en 2025 intégrer l’Union Européenne qu’en 2000, soit il y a un quart de siècle ?

Bien qu’associée à l’Union Européenne, l’opinion publique turque de même que celles en Europe y sont largement défavorables.

J’ai vite compris que le Turc n’acceptait pas de rester second. Partagé entre le repli passéiste, les convoitises avec le monde musulman, les ententes avec les ex-républiques soviétiques et les relations avec l’Europe, la diplomatie turque consiste à agir sur plusieurs fronts tout en s’efforçant d’équilibrer ses relations avec les grandes puissances.

La Turquie actuelle est beaucoup moins intéressée par une adhésion pleine et entière à l’Union Européenne qu’elle peut l’avoir été dans le passé. Ses relations oscillent entre coopération et tensions (droits de l’Homme, libertés politiques, expansion maritime).

40 % du commerce turc se fait avec l’Europe dont sont originaires 65 % des investissements. Avant le conflit ukrainien, la Turquie était le premier investisseur étranger en Ukraine.

Enfin, la Turquie est bien consciente qu’elle aurait de réelles difficultés à assimiler l’acquis communautaire global et la division de Chypre suffit à elle seule à empêcher son adhésion.

Quel regard portez-vous sur le régime de Recep Tayyip Erdoğan ?

Il est évident que la définition de la démocratie pour les Turcs n’est pas la même que pour les autres pays d’Europe. Les trois pouvoirs sont peut-être séparés, mais ils sont superposés et l’Armée comme la justice dépendent étroitement du cabinet présidentiel.

Quant à la notion de parti politique, elle est différente de celle en Europe. Il s’agit d’associations parfois secrètes qui détiennent la réalité du pouvoir et peuvent le cas échéant fomenter les coups d’État comme celui mené par Muhamet Fethullah Gülen les 15 et 16 juillet 2016 qui avait entraîné plus de 300 morts et des milliers d’arrestations.

Quelles sont véritablement les relations de la Turquie avec les grandes puissances : la Russie de Vladimir Poutine, les États-Unis de Donald Trump, la Chine de Xi Jinping… et quelles sont-elles avec Israël et l’Iran ?

La Russie est un partenaire privilégié pour la Turquie qui occupe la deuxième place derrière l’Allemagne dans ses échanges commerciaux et la première dans les fournitures énergétiques. Quant à ses relations politiques, elles sont aléatoires compte-tenu de la situation de la Crimée et des accès à la Mer Noire.

S’agissant des États-Unis, les relations sont satisfaisantes dans le cadre de l’OTAN d’autant que la Turquie a accepté l’installation de la base américaine à Incirlik qui est déterminante dans la stratégie américaine pour cette zone d’influence du sud Caucase et de l’Asie Centrale.

Quant à la Chine, ses relations commerciales sont excellentes dans tous les domaines. La seule difficulté politique concerne la question des Ouïghours en Chine comme pour l’Inde avec le Cachemire.

Depuis l’attaque du 7 octobre 2023, la Turquie a rompu ses relations avec Israël et soutient le Hamas. Les relations commerciales perdurent tout de même.

Enfin, avec l’Iran, les incompréhensions de nature religieuse persistent, mais la nucléarisation qu’envisage Téhéran entraînerait, le cas échéant, celle de la Turquie et de l’Arabie Saoudite.

Le rôle et l’influence des États-Unis est ici déterminant.

 Géopolitique de la Turquie, Patrick Brunot, Éditions de L’Æncre, collection « À nouveau siècle, nouveaux enjeux », 108 pages, 17 € ; pour commander ce live, cliquez ici.

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