Schindler

Les lectures de Madeleine Cruz : la légende d’Oskar Schindler

Malgré une critique générale très élogieuse, je n’avais pas vu le film de Spielberg consacré à Schindler et à sa fameuse Liste, lors de sa sortie, en 1993. Je craignais un sujet trop gore pour ma sensibilité.

Indépendamment du fond, il y a des sujets comme celui-ci qui me font fuir, en effet. De même, malgré ma grande admiration pour Clint Estwood, son œuvre colossale et… ses orientations politiques sympathiques, je n’avais pu regarder jusqu’à la fin son film L’échange, l’histoire vraie d’un monstre qui enlevait des petites garçons pour les supplicier, dans le Los Angeles de l’entre-deux-guerres.

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, de tels récits ne sont pas regardables. je craignais donc, avec cette Liste de Schindler, de ne pouvoir supporter ce film.

Il y a quelques temps il est passé à la télévision et comme les critiques vantaient plutôt le caractère peu manichéen du film, j’ai donc fait l’effort de le regarder. ma chatte Sissi me tenait compagnie et un verre de Pouilly-fumé que je gardais à portée de main, était censé m’aider, pensais-je, à supporter les scènes les plus rudes. Je vous avouerai toutefois qu’au bout de dix minutes, j’ai éteint le téléviseur car je n’en pouvais plus de toute cette horreur gratuite.

Or il se trouve que sort un nouveau livre, consacré à La Liste de Schindler. Je ne parle pas de l’ouvrage de Thomas Keneally, qui a inspiré le film, mais d’un essai, apparemment assez fouillé, qui s’intitule La liste de Schindler : mythe et réalité, signé d’Yves Leblond.

« ce n’est certainement pas un sauveur et un héros ».

Ce livre, pour le coup, je l’ai lu, d’autant qu’il nous épargne toutes les horreurs qui constituaient, certes le contexte historique de la vie de Schindler et de ses obligés.

Je vais essayer de vous résumer les desseins de l’auteur : le film de Spielberg (comme le livre de Keneally), qualifié de « roman », est trop hagiographique, selon lui. Il donne de ce monsieur Schindler une image plutôt flatteuse, alors que la vérité du personnage méritait infiniment plus de nuances. Dans sa conclusion, l’auteur du livre a une formule qui résume parfaitement cela : « Un nazi, un esclavagiste, un opportuniste, un mauvais homme ? Sans doute pas au regard du comportement de certains autres de ses contemporains. Mais ce n’est certainement pas un sauveur et un héros ». Schindler était « volage et grand buveur ». Mais surtout, nous dit-il, c’était un opportuniste : « Il sent quand le vent tourne ». On le trouve nationaliste quand l’heure est au patriotisme, « nazi pangermaniste quand l’Allemagne est aux portes de sa terre d’accueil » etc. Leblond doute que Schindler ait « rencontré l’altruisme comme on rencontre Dieu avant de s’y vouer au péril de sa vie ». Non, « il a fait ce qu’il a fait toute son existence : défendre son intérêt, au besoin en se servant des autres, loin de toute mystérieuse anthropologie ».

Je n’ai pas de raison de penser que Leblond force le trait, même si je ne peux m’empêcher de faire une analogie avec d’autres conversions tout aussi spectaculaires. Je pense par exemple à Saint Paul…

Il s’agit donc de démystifier ce « juste », qui ne l’a été que dans la mesure où ses intérêts l’ont conduit à ce changement de discours et d’engagement. L’analyse d’Yves Leblond est assez convaincante sur ce point.

Print the legend !

Mais Leblond fait sienne aussi, en conclusion, cette formule de Thomas Keneally : « L’important dans toute légende, ce n’est pas tellement qu’elle soit vraie ou fausse, que les faits rapportés soient exacts, c’est que l’histoire ait pu basculer à un moment pour devenir plus vraie que la vérité elle-même ».

Au fur et à mesure que je progressais dans la lecture du livre de Leblond, je repensait pour ma part à la phrase de conclusion du formidable film de John Ford, L’homme qui tua Liberty Valance : « When the legend becomes facts, print the legend! ». Vous avez forcément vu une fois au moins ce film, dans votre vie.

Cette phrase, peut être traduite par « quand la légende devient réalité, imprimez la légende ! ». Mais souvent elle est traduite aussi sous une forme légèrement déformée : quand la légende est plus belle – ou plus grande – que la réalité, imprimez la légende. Pourquoi pas ?

Jacques de Voragine, avec sa Légende dorée n’a-t-il pas fait plus pour le christianisme que bien d’autres ouvrages peut-être davantage respectueux des données historiques certaines ?

Alors, prenons cette Liste de Schindler pour ce qu’elle est, d’une façon ou d’une autre : la démonstration de la complexité d’une époque, la difficulté à interpréter cette complexité, et l’idée, aussi, que, dans les pires moments, peuvent exister des lueurs d’espérance, tenant aux hommes, aux circonstances, voire aux deux à la fois.

Madeleine Cruz

La liste de Schindler : mythe et réalité, par Yves Leblond, Ed. Kontre Kulture, février 2025, www.kontrekulture.com

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