Devant plus de cent mille fidèles réunis place Saint-Pierre le 11 mai à l’occasion de la première messe dominicale de son pontificat, Léon XIV, élu trois jours plus tôt, a notamment évoqué « l’immense tragédie de la Seconde Guerre mondiale qui s’est achevée il y a 80 ans, le 8 mai 1945, après avoir fait 60 millions de victimes » avant d’ajouter devant la perspective d’une « troisième guerre mondiale par morceaux » , qu’il s’adressait « aussi aux grands de ce monde en répétant l’appel toujours d’actualité : jamais plus la guerre ! ».
L’Ukraine et les migrants
Aussi bien dans la bande de Gaza où le feu doit « cesser immédiatement » afin que respire enfin une « population civile épuisée » qu’en Ukraine« où tout doit mis en œuvre pour parvenir le plus rapidement possible à une paix véritable, juste et durable » avec l’intercession de Marie, Regina caeli et « reine de la paix ». Le nouveau pape ayant précisé qu’il portait « le peuple ukrainien dans son cœur », les exégètes ont aussitôt discerné une rupture avec son prédécesseur François qui, lui, déplorait « les aboiements de l’OTAN », préconisait une « paix immédiate » et demandait à Volodimyr Zelinsky d’avoir « le courage du drapeau blanc ».
Si elle est confirmée, sera-ce la seule rupture ? Issu comme le jésuite Bergoglio du clergé régulier puisqu’il appartient à l’Ordre des Augustiniens, Robert Francis Prevost doit tout au pape argentin qui le nomma évêque en décembre 2014 puis archevêque en janvier 2023 avant de lui accorder huit mois plus tard la pourpre cardinalice et de lui offrir le très stratégique dicastère des évêques, une promotion météorique.
Les deux hommes avaient pour préoccupation essentielle la protection des « sans-dents » et particulièrement des migrants, dont le cardinal Prevost avait pris la défense après la seconde élection de Donald Trump en novembre dernier, allant jusqu’à polémiquer avec le vice-président J. D. Vance (converti au catholicisme en 2019) sur la définition du « prochain » à aider en priorité. Le prochain vînt-il du bout du monde aux yeux du futur pape, qui a consacré l’essentiel de son magistère au Pérou, dont cet Etats-Unien a pris la nationalité.
Le premier pape aux racines africaines subsahéliennes
Sur ce point, rien n’indique donc la moindre divergence entre le défunt jésuite, autoritaire et volontiers provocateur en point de choquer les fidèles (on remarquera qu’après sa mort, aucune clameur « Santo subito ! » n’a retenti place Saint-Pierre, comme ce fut le cas après la disparition de Jean-Paul II) et le discret augustinien, homme de sangs-mêlés. Si son père, Louis Marius Prevost, ancien officier dans l’US Navy, était de lointaine ascendance normande l’apparentant peut-être au Nobel de littérature Jean-Marie Gustave Le Clézioet à… Catherine Deneuve, sa mère Mildred Agnes Martinez était une mulâtresse aux origines louisianaise, haïtienne et espagnole.
Alors que l’Italien Léon XIII, le pape auteur de Rerum Novarum, la première encyclique totalement axée sur le social, et qui enjoignit aux catholiques français d’adopter sans barguigner la République, était de naissance patricienne, le Chicago boy Léon XIV, qui a choisi son nom en hommage à ce pontife controversé, est ainsi le premier pape non seulement nord-américain mais ayant aussi une ascendance africaine subsaharienne. Cela influera-t-il sur son pontificat ?
Le poids des hispaniques
Contrairement à ce qu’affirmait Gilles Bouleau le 8 mai sur TF1, les Noirs libérés de l’esclavage après la guerre de Sécession n’optèrent pas en masse pour le catholicisme et ils ne constituent d’ailleurs que 2 % des 70 millions de catholiques états-uniens. Eux-mêmes minoritaires (24% de la population), même s’ils fournissent 12,5% des prêtres au niveau mondial, alors que les catholiques américains ne représentent que 6,8% des catholiques sur la planète. Mais si les catholiques d’origine européenne furent longtemps majoritaires grâce à l’immigration venue d’Irlande, d’Italie, de Pologne ou de Croatie (de 1976 à 1979, Chicago connut même un maire croate, Michael Bilandic), sans oublier l’apport acadien, la tendance s’inverse : en 2014 déjà, 47% des catholiques américains de moins de 40 ans étaient des Hispaniques cependant que, chez les catholiques « blancs », le nombre de pratiquants très épisodiques, voire de « sans religion » ne cesse d’augmenter.
Joint au mouvement woke, le dynamisme latino incite donc le haut clergé états-unien à favoriser le regroupement familial des Chicanos et, partant, à soutenir la cause des migrants mexicains, boliviens, vénézuéliens ou colombiens alors même que ceux-ci importent sur la terre promise les maux et les problèmes qu’ils fuient. Mais, revers de la médaille aux yeux des progressistes, ces hispaniques ne sont guère intéressés par l’ordination des femmes ; ils sont apposés au « mariage pour tous », à la GPA et à l’euthanasie comme à l’adoption d’enfants par les couples homosexuels. De plus, beaucoup restent attachés à la pompe de la messe traditionnelle.
Sur tous ces sujets, l’ancien prieur général de l’Ordre de Saint-Augustin est resté jusqu’ici très réservé. Par calcul politique ou conviction personnelle ?
Contrairement au pape François qui, surjouant l’humilité, y avait renoncé, il a remis à l’honneur les vêtements pontificaux telle la mosette de soie blanche bordée d’hermine pendant le temps pascal, qu’il arborait dimanche, et sa croix pectorale contient entre autres reliques celles d’Anselmo Polanco Fontecha, évêque augustin espagnol martyrisé et, ainsi que son vicaire, fusillé par les Rouges espagnols en février 1939 — ce qui lui valut d’être béatifié par Jean-Paul II en octobre 1995.
Des signes, qu’on se gardera d’interpréter. Si l’élection du cardinal Prevost (qui comprend le français mais ne le parle pas) est le « pire choix » que le conclave pouvait faire selon le politologue et catholique irlandais Steve Bannon, le pire n’est jamais sûr, pour citer cette fois Jacques Bainville.
Camille Galic
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Tiré par les cheveux !