A-t-on déjà vécu des périodes de folie comparable à la nôtre ? Les paris sont ouverts… Ainsi des dernières personnalités distinguées dans la promotion de la Légion d’honneur du 14 Juillet selon le décret publié la veille au Journal Officiel. Qu’on aime ou ou pas les noms qui vont suivre n’a pas d’importance. Seul compte, en l’occurrence, le pourquoi de leur… leur « quoi » ? Leur qualification ? Leur nomination ? leur… distinction, donc ! Mais c’est justement là que le bât blesse : pourquoi avoir récompensé les 589 personnes du « crû 2025 » ? Parce que, n’est-ce pas !, ils sont sensés s’être investis dans « l’intérêt général »…
Motif qui peut toujours se discuter pour une Mona Ozouf, qualifiée pour la circonstance de spécialiste de la Révolution française, de l’école de la République et de la laïcité… ou encore pour Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel au passé d’alpiniste.
Mais lorsqu’il s’agit de Gisèle Pelicot, la femme dont le nom est le plus mis en avant, son élévation au grade de chevalier devient plus délicat. Elle le doit au terrible martyr de plus de neuf années durant lesquelles son mari l’a droguée pour la livrer, durant son sommeil – et pas même par quelque intérêt financier, mais pas simple fantasme – aux bons plaisirs de plus de cinquante tarés de son acabit.
Suggérer en l’occurrence pour cette malheureuse d’« investissement dans l’intérêt général », ainsi que Napoléon Bonaparte le concevait lorsqu’il créa en 1802 ce qui allait devenir la plus élevée des distinctions nationales françaises, relève au mieux d’une plaisanterie d’un mauvais goût certain, au pire d’une insulte dont on pourrait croire qu’elle se serait bien passée.
On justifie néanmoins cette distinction parce qu’elle refusa le huis clos lors du procès de ses viols, ce qui permit des semaines durant de dégoûter à juste titre l’immense majorité des Français, voire au-delà de nos frontières, et de rassasier gratuitement un public heureusement plus restreint, fantasmant sur de telles dépravations sexuelles.
Fantasmes qui étaient jusqu’alors aussi judicieusement que très salutairement cantonnés aux seuls rayons d’une certaine littérature ou de films de cinéma spécialisés, tous deux étiquetés X et contraints (en principe) de prévenir le public qu’il lui fallait être « averti » pour les découvrir.
Qui peut penser un instant que l’étalage en place public des dépravations des monstres qui violèrent, pour certains à répétition, Gisèle Pelicot, réfrènent un tant soit peu tous ceux qui sont, tout comme eux, capables de passer à l’acte ?
Et qui n’imagine pas que cet étalage obscène puisse au contraire avoir, hélas ! suscité des vocations ?
Enfin, on jugera d’un haussement d’épaules désabusé l’attribution de la légion « d’honneur » aux copains, coquins et complices de l’actuel Présidence, les anciens ministres Éric Dupond-Moretti, Stanislas Guerini, Stéphane Le Foll et Olivier Véran (élevés au rang de chevalier) ou encore Bruno Le Maire et l’ex-secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler (élevés, eux, à celui d’officier) : au moins, nous aura-t-on épargné que ces tristes sires le soient à « l’ordre national du mérite » ! Un reste de pudeur, peut-être…
Et on ne commentera guère la remise de cette médaille à l’humoriste Sophia Aram, au rockeur Jean-Louis Aubert ou à la comédienne Léa Drucker, aux écrivains Émilie Frèche, Marc Levy et à l’académicien Andreï Makine… ou encore aux chanteuses Catherine Lara et Sylvie Vartan pour lesquel(le)s la notion « d’intérêt général » reste quelque peu plus surprenante, mais finalement moins inappropriée que pour les noms précités.
Philippe Randa