Alsace

Des lieux où souffle l’esprit : Eguisheim, cité du pape Léon

Yo tu ! Nous aussi im Elsass, Habemus Papam Léon ! Son prénom de baptême était Bruno/Brunom d’Eguisheim (prononcez éguisseim et non pas éguicheim, entendu trop souvent à la télévision), village où il naquit lors du solstice d’été de l’an de grâce 1002.

Fils du comte Hugues IV du Nordgau (Bas-Rhin actuel) et de Heilwige de Dabo, nom d’un patelin pittoresque à souhait, situé dans le massif des Vosges mosellanes, messire Bruno était le neveu de sainte Odile de Hohenbourg, patronne de L’Alsace et des berlus, des luneux chantés par Malicorne, des vieilles taupes si chères à Pierre Guillaume… Notons que dans la plus longue Histoire, le fils d’Odin, Höder, frère de Balder, lui aussi était aveugle. Pierre Gripari, François Duprat, Jean Trévilly et Roland Gaucher étaient eux-même beulous. Au royaume des aveugles, les borgnes sont rois, pas vrai camarade Jean-Marie ?

Les habitants de Dabo revendiquent aussi la naissance de Bruno sur leur sol, semble-t-il à tort. Mais assurés et fiers comme le « premier moutardier du pape » expression dont Alexandre Dumas parle dans son grand dictionnaire de cuisine.

Evêque de Toul (paroisse lorraine où l’on a ressuscité et bonifié un vin gris frais, friand et fruité), puis élu pape au concile de Worms, grâce à l’appui de l’Empire, Léon IX demeure célèbre pour ses tentatives de réformes ecclésiastiques et ses condamnations d’hérésies, telles la honteuse et détestable simonie ou encore celle de Béranger de Tours qui niait la transsubstantiation, changement du pain et du vin en la substance du corps du Christ. C’est à la fin de son pontificat qu’eut lieu l’important schisme de l’église orthodoxe. Sa statue trône, entre autres nombreux lieux, au centre du village. Elle surmonte une fontaine où tournent sans cesse des carpes de fort volume, comme dans le bassin du tout petit village d’Hunawihr voisin, dont la cave coopérative propose les sept cépages d’Alsace, goûtus, à prix doux et dont les flûtes sont distribuées dans les supermarchés de toute France. Cherchez et vous trouverez… L’étiquette est jaune, dorée, pleine de soleil, agrémentée par la présence de son église au milieu du vignoble.

Nous sommes, vous vous en doutez sur la route des vins, et même en plein cœur ! Magnifique, vallonnée, somptueuse et très pratiquée… Si les restaurateurs « de l’intérieur » souffrent de manque de fréquentation, je ne suis pas sûr que ce soit le cas en ce pays. Par ma foi, Je n’ai jamais vu autant de monde que cet été au col de la Schlucht (prononcez schlourt), frontière naturelle entre l’Alsace et la Lorraine; à Colmar, à Eguisheim, ni même d’ailleurs à Gérardmer (prononcez gérarmé et non pas gérardmère), « La perle des Vosges » située sur le versant ouest de ces montagnes de moyenne altitude. Le Grand Ballon culmine à 1424 m, suivi du Storkenkopf et du célèbre Honeck (1363 m), du Kastelberg (1350 m) et du Klintzkopf (1329 m). A comparaison la jolie cité de Chamonix, qui abrite l’Ecole militaire de Haute Montagne où j’ai fait mes classes, n’est qu’à 1035 m.

Hollandais, Belges, Suisses, Germains, gens policés et courtois dans l’ensemble, viennent visiter ces contrées, fidèlement, en multitude. Sans compter les Japonais, on ne peut plus gentils (ce n’est pas Bruno Gollnisch qui nous dira le contraire !). Il faut constater que le Centre Européen d’études japonaises est établi à Colmar tout comme l’industrie RICOH créée par Kiyoshi Ichimura (imprimantes, cartes électroniques, consommables…).

La cité est heureuse comme Dieu en France (expression allemande), tant « les chances pour la France » semblent ne point y trouver leur place. Pardieu ! L’Alsace est le haut-lieu le plus sacré des cochonnailles.

Ici, on mange halal’ sacienne !

Saucisses de toutes sortes, brottwurcht blanche, mettwurscht à tartiner, fleiswurscht ou saucisse de viande et célèbre knack, onomatopée du bruit qu’elle fait quand, une fois pochée on la casse. Elles font merveille pour agrémenter une choucroute garnie, de kassler (longe de porc fumée), de schiffala (palette de porc) ou de jarret, de cervelas, le tout cuisiné au saindoux et à l’edelzwicker, tant il est vrai, comme disait Léon Daudet que l’eau est triste dans les verres mais sinistre dans les plats. Que voulez-vous de plus que l’on vous serve là ? Une pointe de raifort, pardi ! dite moutarde des Allemands. Philosophons un peu, cela fait digérer, écrivait le père Hugo et acceptons un décret prodigué par le docteur Louis-Ferdinand Destouches :  » Le travail est inhumain pendant la digestion « . Promenons-nous, marchons, marchons, comme chantait le très opportuniste Rouget de Lisle à Strasbourg et faisons par trois fois le tour de la ville.

Elle est ronde comme un astre, et vue du ciel, ressemble à une cible dont le cœur est l’église. Trois ceintures de maisons à colombage moyenâgeuses, couleur jonquille et bleu roi l’étreignent. La ville semble un décor pour un conte de Dickens, comme écrivait Blondin à propos de Colmar. Elle est restée dans son jus, lui aussi sans doute. Voici sous vos pas et vos yeux l’héritage des âges d’ors des XVIè et XVIIIè siècles, les cinq tours dimières, l’hostellerie ou Turenne passa la nuit précédant la bataille de Turckheim, la cour d’Eschau avec son horloge solaire et ses maisons médiévales à oriels buissonneux et parfumés de fleurs de toutes sortes, glycines, pélargoniums comestibles, géraniums mythiques poussant entre les colombages, les cours ombragées, sous les orgueilleuses enseignes en fer forgé devant les portails ouvragés et solides. Ajoutons au tableau, les pavés inégaux et polis, les pignons pointus, les ruelles étroites, le tout surmonté du clocher à bâtière de l’église, que coiffe un nid de cigognes de plus de cinq cents kilos (le nid, pas les cigognes !), fabriqué par le mâle, pour le gros œuvre, mais terminé par la maman se chargeant du confort de ses prochains petits.

Wanderwogel !

On entends le clac-clac-clac-clac des échassiers migrateurs. Ils craquètent et contrairement aux autres oiseaux qui se servent de leur syrinx pour chanter, produisent ce son de façon mécanique avec leur long bec pointu. Il ne restait plus que dix couples reproducteurs dans les années 1970. Aujourd’hui, les cigognes sont plus de 600. Les gens du crû disaient alors qu’elles ne venaient plus parce que l’on ne parlait plus alsacien au pays ! Le dialecte ou plutôt les dialectes refleurissent et les oiseaux de passage sont revenus par la grâce et l’action du Centre de réintroduction des cigognes en Alsace à Hunawihr, qui a fait un travail considérable. L’opération de sauvetage fut longue. En 1972, l’équipe du Centre rapatrie soixante-six spécimens du Maroc, puis 140 autres en 1975. L’idée est de garder les oiseaux en captivité pendant trois ans, afin que les cigognes perdent leur instinct migrateur et puissent se reproduire tout en restant sédentaires. Aujourd’hui, plus de 150 cigogneaux naissent chaque année à Hunawihr.

De trois châteaux, l’autre…

On compte au village plus de viticulteurs que de restaurateurs, émérites au demeurant. On peut voir, depuis le parking, les trois tours d’Husseren et la masse imposante du château du Hohlandsbourg récemment restauré. La visite du Château permet de découvrir l’évolution de l’architecture militaire du 13ème siècle jusqu’à la guerre de Trente Ans, période terrible dont parle le poète de la lande, Hermann Löns, et qui marqua la chair (gène suédois caractéristique introduit dans la population alsacienne) et l’esprit pendant bien long de temps, puisque même Adolf Hitler l’évoque dans son célèbre mémorandum co-écrit par l’énigmatique Rudolf Hess.

Qu’on se soucie maintenant de tous ces combats presque autant que l’on se souciait des guerres de Cent ans ! Et comme on dit ici, Salü bisàme !

Franck Nicolle

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