La scène en dit long : Lula da Silva parle à l’ONU et la salle est pleine. Milei parle à l’ONU et la salle est vide. Ce n’est pas seulement une image inconfortable, c’est le reflet d’une vérité que beaucoup ne veulent pas voir : Milei n’est plus une nouveauté. Il ne suscite plus d’attentes. Il ne représente plus rien d’intéressant. Ce qui a été présenté autrefois comme un phénomène libertarien disruptif n’est aujourd’hui qu’un politicien de plus, avec un discours usé, des résultats nuls et des promesses qui s’évaporent face à la réalité.
Le président insiste pour se présenter comme le Trump ibéro-américain. Le curieux, c’est que sa politique économique fait exactement le contraire de celle de Trump. L’Américain défend le protectionnisme, les tarifs douaniers, les subventions industrielles, la relocalisation des chaînes de valeur, le renforcement de l’emploi interne. Que fait Milei ? Il ouvre les importations, démantèle l’industrie, détruit les PME, réduit les tarifs douaniers et liquide des emplois. Si l’on voulait concevoir un plan pour affaiblir l’Argentine, on ne ferait rien de différent.
Mais le pire, c’est le manque d’honnêteté. Car tandis que Milei applaudit Trump pour combattre la mondialisation, lui-même s’agenouille devant les multinationales. Tandis qu’aux États-Unis, on expulse ceux qui licencient des travailleurs, ici on célèbre la tronçonneuse. Il n’y a pas de cohérence. Il y a du marketing. Milei parle contre la caste, mais il a les mêmes privilèges que ses prédécesseurs. Il parle de réduire l’État, mais il maintient les structures, les conseillers, les contrats, et la seule chose qu’il ait faite, c’est de rétrograder un ministère en secrétariat pour la photo.
Ce qu’il dit et ce qu’il fait ne coïncident jamais. Il se présente comme une victime, comme un outsider, mais il est au pouvoir depuis presque deux ans. Et il n’assume rien. Son seul talent semble être de rejeter la faute sur les autres. Son seul plan : de la rigueur mais sans vision stratégique. Son seul discours : répéter des phrases toutes faites pour un public qui l’écoute de moins en moins. Le supposé phénomène international qui allait enchanter le monde ne suscite même pas d’intérêt dans les forums internationaux. Son discours vide est ignoré par les siens et les autres.
Il dénonce que les politiciens sacrifient l’avenir sur l’autel du présent, mais c’est exactement ce qu’il fait. Il baisse les taxes à l’exportation pour obtenir des dollars aujourd’hui, tout en hypothéquant l’avenir. Il s’endette de façon inédite, à la seule fin d’arriver à une élection avec un dollar bloqué et une fiction de stabilité. Et après ? Après, c’est l’abîme. Du pain pour aujourd’hui, la faim pour demain. Milei ne gouverne pas, il gère son image. Et mal.
Son alliance avec Trump n’est pas idéologique, elle est opportuniste. Trump, dans le meilleur des cas, le soutient parce que c’est la seule chose qu’il a dans la région. Parce que le reste des gouvernements latino-américains, aussi progressistes qu’ils paraissent, répondent au pouvoir réel des États-Unis : le réseau démocrate et ses partenaires locaux. Milei sert donc de marionnette utile pour donner l’impression que Trump a une sorte de soutien régional. Mais il est tenu par des épingles.
Milei ne dispose pas de marge de manoeuvre pour gouverner. En interne, son espace politique est un chaos. Sa sœur Karina Milei et le consultant international Santiago Caputo, son éminence grise, s’affrontent en une guerre froide pendant que le président regarde ailleurs. Il ne peut pas mettre en ordre sa propre troupe. Il ne peut pas construire d’alliances. Il ne peut pas faire passer une loi sans négocier. Et pendant ce temps, l’extérieur lui impose des conditions qu’il n’ose même pas avouer. Le supposé sauvetage de 20 milliards de dollars des États-Unis est lié aux élections et à des réformes qu’il ne peut pas mettre en œuvre. Que va-t-il faire ? Fermer le Congrès pour les approuver ?
La Chine, pendant ce temps, n’impose pas de conditions. Elle ne l’a jamais fait. Le swap (1) avec la Chine s’est maintenu avec tous les gouvernements, sans bases militaires, sans exigences politiques, sans pressions externes. La Chine n’exige pas la soumission. Les États-Unis, en revanche, conditionnent tout : du prêt à la politique commerciale. Le sauvetage n’est pas pour l’Argentine, c’est pour Milei. Parce que si Milei tombe, tombe aussi le seul pion de Trump dans la région. Mais que personne ne s’y trompe : c’est un sauvetage personnel, pas national.
Le fameux « miracle économique » ?
Et le modèle de Milei montre déjà son échec. Plus de 17 000 PME fermées, chute industrielle de 10 % et 40 000 emplois perdus, un niveau d’utilisation des capacités de production au plus bas. La tronçonneuse a ravagé tout sauf les privilèges de ceux de toujours. Le secteur agricole a applaudi au début, jusqu’à ce qu’il se rende compte que le bénéfice était réservé aux grandes firmes céréalières. On a baissé les taxes à l’exportation pour un quota qui s’est épuisé en 48 heures et que seuls les grands joueurs ont pu exploiter. Le petit producteur, une fois de plus, a été trompé.
Et que vont faire ces firmes céréalières avec les pesos qu’elles ont reçus ? Investir ? Non. Elles vont racheter des dollars. Elles vont à nouveau faire pression sur le taux de change. Et la tentative de stabilisation du peso va durer le temps d’un soupir. Milei n’a rien résolu. Il a seulement reporté l’explosion.
En outre, sa gestion est grevée par un cabinet paralysé par des querelles internes. Caputo veut reconstruire des passerelles politiques. Karina Milei, sa sœur, veut que tout demeure à l’identique. Le président ne prend pas de décisions. Parce qu’il dit qu’il n’aime pas la politique. Alors, pourquoi s’est-il présenté ? Pour parler à l’ONU comme s’il était un youtuber. Pour critiquer la caste tout en gouvernant avec elle. Pour répéter que l’État est le problème tout en s’endettant pour le soutenir.
Et tout cela dans le pire contexte externe imaginable. Les États-Unis sont en déclin. Ils ont une dette insoutenable à long terme. Plus de 35 billions de dollars. Ils dépensent plus à rembourser leurs intérêts qu’en matière de défense. Ils financent leurs dépenses en contractant de nouvelles dettes et par la création de monnaie. Et en plus, ils perdent de l’influence globale. Leur crédibilité s’érode avec chaque saisie d’actifs, avec chaque sanction unilatérale, avec chaque guerre perdue. Et Milei s’accroche à cela. À un empire qui s’effondre, tout en méprisant la Chine, les BRICS et ses propres voisins.
La Chine, avec toutes ses erreurs, est le principal partenaire commercial de l’Argentine. Elle est leader en technologie, accumule de l’or, construit des réseaux d’infrastructures globaux. Et elle n’impose pas de conditions. Que fait Milei ? Il se dispute avec la Chine. Il se dispute avec le Brésil. Il se dispute avec tous. Et ensuite, il mendie de l’aide à Washington, où on le regarde comme un bouffon utile mais jetable.
Parce qu’au fond, ce que fait Milei n’est pas défendre une idéologie. C’est défendre un business. Le business de quelques-uns qui se remplissent les poches pendant que le pays coule à pic. Le pacte avec les firmes céréalières le montre crûment. Des gains extraordinaires pour dix grands joueurs, et de la dette pour tous les Argentins. Aujourd’hui, si c’est la fête pour les opérateurs financiers, ce sont des larmes qui attendent demain les contribuables.
Le supposé paquet d’aide inclut des réformes que personne ne peut approuver, des investissements qui n’arriveront pas et des exigences que le gouvernement ne peut pas remplir. Et si on ne les remplit pas, l’aide est coupée. Ou pire : l’hystérie financière se déclenche, le peso s’effondre et on force une dollarisation de fait. Milei veut présenter cela comme une solution. Mais ce n’en est pas une. C’est une condamnation.
L’économie argentine ne peut pas soutenir un schéma qui sert seulement à tenir jusqu’en octobre. Tout est tenu par du fil de fer. Et le fil de fer est en grain de rouiller. Le problème ne vient pas seulement de Milei. L’opposition s’est aussi mise en sommeil. Jusqu’à ce que la réveillent des effluves de sang. Elle ira alors finir les restes et ne manquera pas de valider ce qu’elle critique aujourd’hui.
Milei ne conduit pas de politique extérieure. Il se montre servile ; fait du marketing ; de l’acting. Mais il n’a pas de plan. Il ne comprend pas le monde dans lequel il vit. Il croit que l’empire est éternel. Il croit qu’en criant liberté, on résout les problèmes structurels. Il croit que s’il répète qu’il est le Trump argentin, la réalité s’adaptera au slogan. Mais la réalité a d’autres plans.
Trump a besoin de Milei seulement comme un symbole. Mais dès que ce symbole ne servira plus, ils le remplaceront. C’est pourquoi ils le soutiennent, même à contrecœur. Pas parce qu’il est précieux, mais parce que c’est la seule chose qu’ils ont. Mais quand Milei perdra l’élection de mi-mandat, le soutien s’évaporera.
Alors, que nous reste-t-il ? Un pays hypothéqué, avec une économie en ruines, un gouvernement ingérable en interne et une politique extérieure subordonnée à un partenaire qui n’a plus de pouvoir réel. Le « libéralisme » de Milei est une caricature. Sa tronçonneuse, une farce. Son alliance avec Trump, un pari désespéré. Et sa présidence, une expérience qui a mal tourné.
Marcelo Ramirez
(1) NdlR : Le swap ou contrat d’échange ou l’échange financier est un produit dérivé financier. Il s’agit d’un contrat d’échange de flux financiers entre deux parties, qui sont généralement des banques ou des institutions financières.