Charles de Foucauld est né le 15 septembre 1858, il y a aujourd’hui 165 ans. Sa famille appartenait à la vieille noblesse française, et jouissait d’un certain prestige car plusieurs de ses ancêtres ont participé aux Croisades, et son arrière-grand-oncle fut victime des massacres de septembre pendant la Révolution. Aujourd’hui, la mémoire de Charles de Foucauld n’est plus guère enseignée dans les écoles. Pourtant, tour à tour officier de cavalerie, explorateur et géographe, prêtre catholique, puis ermite et linguiste, la vie de cet homme est un roman individuel qui s’insère parfaitement dans le roman national français.
Pourquoi inviter nos contemporains, et surtout les plus jeunes, à méditer sur cette vie particulièrement exemplaire ? Parce que notre époque a besoin de héros, et que la vie de Charles de Foucauld fut héroïque à plusieurs égards. D’abord, Charles de Foucauld nous apprend qu’avec le secours de la Grâce, tout homme peut améliorer son existence en se perfectionnant jour après jour. Ensuite, il nous montre qu’à l’inverse de certains discours républicains sur la colonisation, le christianisme de Charles de Foucauld était profondément respectueux des indigènes. Enfin, parce que l’assassinat de Charles de Foucauld nous confirme qu’à l’heure du choc des civilisations, il n’est plus fait de distinction entre les bons et les autres.
Ayant perdu ses parents, puis sa grand-mère paternelle très jeune, Charles de Foucauld fut élevé par ses grands-parents maternels et reçut une éducation religieuse dont il s’éloigna dans l’adolescence. Devenu agnostique, il poursuivit ses études et réussit le concours d’entrée à Saint-Cyr tout en menant une vie dissipée et, même, dissolue. Cela ruina sa carrière militaire au point qu’il fut mis hors-cadre de l’armée. Cependant, son régiment ayant été engagé en Tunisie, il demanda sa réintégration dans l’armée et montra de réelles qualités d’officier. L’épreuve du feu trempa son caractère et fut la première étape de sa conversion avec la fin d’une vie de débauche. On songe à Saint-Augustin. A Ignace de Loyola aussi.
Ressentant l’appel du désert, il quitta l’armée pour explorer le Maroc, pays alors fort mal connu et interdit aux chrétiens sous peine de mort. Après une année passée à apprendre l’arabe et l’hébreu, il commença son expédition le 10 juin 1883 en se faisant passer pour un rabbin né en Moldavie et désireux de rencontrer la communauté juive du Maroc pour solliciter son aide financière. Son périple dura onze mois à l’issue desquels il reçut la médaille d’or de la société de géographie de Paris pour la qualité de ses travaux. Il explora ensuite le Sahara en Algérie entre septembre 1885 et février 1886.
Rentré en France, il subit l’influence de sa cousine, Marie de Bondy, et rencontra l’abbé Huvelin, célèbre confesseur qui allait œuvrer à sa conversion. Charles de Foucauld entama alors un long chemin fait de mortifications et de recherche de perfection chrétienne. Ordonné prêtre le 9 juin 1901, il retourna en Algérie afin d’y mener finalement une vie érémitique à Tamanrasset à partir de 1905.
A cette époque, la plupart des républicains français cultivaient à l’égard des populations indigènes des sentiments tranchés. On sait l’engagement très fort de Jules Ferry en faveur de la colonisation, là où les conservateurs français, mais aussi la gauche de Clémenceau, y étaient hostiles. La considération dans laquelle Jules Ferry tenait les peuples colonisés était peu fraternelle, si l’on en juge par le célèbre discours qu’il prononça le 28 juillet 1885 devant la Chambre des députés, dont le compte rendu des débats indique notamment :
« Monsieur Jules Ferry : Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. » Et plus loin : « Monsieur Jules Ferry : Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures… (Marques d’approbation sur les mêmes bancs à gauche – Nouvelles interruptions à l’extrême-gauche et à droite). »
Loin de ces considérations d’ordre économique, stratégique ou humanitaire, le Père de Foucauld écrivait un point de vue catholique et fort différent : « Pour les musulmans, c’est affaire de longue haleine. Il faut faire d’eux intellectuellement et moralement nos égaux, ce qui est notre devoir[1]. » Ouverture chrétienne du cœur contre intérêts bien pensés. Toute la différence entre la doctrine sociale de l’Eglise et le colonialisme de la IIIe République apparaît quand on confronte les deux discours.
Mais peut-on rendre l’homme différent de ce que sa nature fait de lui ? Tout au long de son ermitage, le Père de Foucauld avait entretenu des relations de respect mutuel avec les populations locales, allant jusqu’à faire œuvre de linguiste notamment dans ses études sur la langue des Touaregs, et il jouissait de l’estime et de la considération des autochtones. Mais en juin 1916, une grande partie de la population du Sahara et du Sahel se souleva contre les Français. Le 1er décembre 1916, un Touareg connu du Père de Foucault trahit sa confiance et permit à des Senoussistes d’investir le fortin où il était réfugié. C’est pendant le pillage que le Père de Foucauld fut tué d’une balle dans la tête, sans que les circonstances de sa mort n’aient jamais été clairement établies. Le capitaine de la Roche laissa le récit de ce qu’il trouva à son arrivée à l’ermitage, le 21 décembre 1916 : « Les assassins avaient emporté tout ce qui avait pour eux quelque valeur. Par terre gisait dans un désordre indescriptible ce qu’ils avaient dédaigné – quelques livres, un chemin de croix fait de planchettes, le chapelet du Père et un petit ostensoir qui semblait encore contenir l’hostie[2]. »
Quand le choc des civilisations se réalise, les ennemis ne témoignent d’aucun respect ni pour les hommes, ni pour les symboles de leur foi. Après la mort du Père de Foucault, ses amis Touaregs entrèrent en dissidence contre l’armée française. On peut être édifié par la vie de Charles de Foucault. On doit aussi tirer une leçon de sa mort.
André Murawski
[1] André Castelot, L’Almanach de l’histoire, Perrin, 1962.
[2] Ibid.
Article très intéressant sur un homme méconnu du grand public. L’humanisme du Père de Foucauld est mis en lumière, et la nature des relations qu’ils entretenaient avec les populations autochtones brise un certain nombre de clichés à la fois simplistes, manichéens et idéologiquement orientés. J’ai repris dans l’une de mes publications traitant de la cancel culture, la déclaration de Jules Ferry mentionnée dans cet article. Déclaration raciste en soi quand on l’analyse avec la grille de lecture qui est la nôtre aujourd’hui. Mais qu’en était-il au 19ème siècle ? Le Père de Foucaud misait sur la foi et le travail sous toutes ses formes pour parvenir à améliorer la nature humaine. Son parcours, ses pensées, sa vision et ses actions méritent en effet, d’être mieux connus. Le Père de Foucaud invite indubitablement à la réflexion. Je remercie l’auteur de cet article. Philippe (chaîne Youtube ‘Les Réveillés’)