C’est une bonne idée d’avoir choisi Gabriele d’Annunzio (1863-1938) comme sujet principal du nouveau numéro de Livr’arbitres. Je pense qu’il n’est guère lu en France. Je m’y suis pour ma part essayée à plusieurs reprises, mais j’avoue que je n’ai pas vraiment accroché. La poésie me barbe un peu, surtout quand il s’agit de traductions. Ses livres politiques sont forcément abscons pour des Français. Quant à ses romans, ils se passent généralement dans des milieux aristocratiques, huppés, friqués, et ils véhiculent une ambiance quelque peu « décadentiste », notent ses biographes.
Je pense que le plus connu de ses romans est L’enfant de volupté (paru en Italie sous le titre Le plaisir). Il ne m’a pas laissé une grande impression. Dans un genre parfois assez proche, je préfère de loin Drieu La Rochelle, par exemple.
Alors vous allez me dire : pourquoi se réjouir de la parution de ce dossier dans l’excellente revue Livr’arbitres ? Parce qu’il y a deux d’Annunzio, en fait. Il y a le d’Annunzio mondain, l’homme des salons, l’auteur des romans bourgeois et décadents, le coureur invétéré, aussi, et il y a l’autre : le nationaliste, l’aventurier, le guerrier.
Pour achever le portrait du premier d’Annunzio, il faut rappeler que c’était un homme à femmes. On dit qu’il aurait eu des centaines de maîtresses, ce qui, pour moi, est aussi incompréhensible que, dans ce même domaine, le tableau de chasse de Simenon, par exemple, dont le physique était spécialement banal, celui d’un homme quelconque. Certes d’Annunzio, lui, n’avait pas le physique d’un homo qualunque, pour le dire à l’italienne. Car il était spécialement…laid ! Un mètre soixante-quatre, chauve, barbichu, borgne… Que pouvaient donc lui trouver les femmes ? Bien sûr, il y avait le talent, l’énergie, le courage physique. Mais est-ce suffisant pour la bagatelle ? L’été dernier, j’ai visité sa maison-musée, qui surplombe le lac de Gardes. On y voit notamment exposée sa chemise de nuit, percée d’un trou…pour gagner du temps ! Comme « tue-l’amour », on fait difficilement mieux !
En tout cas, malgré ses exploits guerriers, ses expéditions aériennes, son nationalisme ombrageux, son aventure à Fiume (« J’adore la guerre », explique-t-il), je ne comprendrai jamais comment ce petit bonhomme, certes toujours habillé de façon élégante, mais légèrement difforme, a pu séduire (et compromettre) tant de jeunes femmes de la très bonne société.
Évidemment il y a l’autre d’Annunzio, « chevalier du ciel, colonel de l’escadrille Poésie », comme l’appelle Michel L’Homme dans un excellent portrait d’une vingtaine de pages. A mon sens, c’est ce d’Annunzio-là, et lui seul, qui mérite de rester dans nos mémoires.
Son « lunapark fasciste »
C’est pourquoi, si vous voulez découvrir d’Annunzio, ne commencez surtout pas par ses romans. Allez d’abord visiter son « lunapark fasciste » (comme l’ont baptisé des journalistes américains), sa demeure de Gardone Riviera, le « Vittoriale degli Italiani », avec ses spectaculaires souvenirs militaires comme l’avion dans lequel il embarqua pour jeter sur Vienne, en 1918, des libelles poétiques appelant à l’armistice, ou encore la proue du bateau de guerre sur lequel il navigua, qui est fixée à flanc de colline. D’Annunzio repose là-bas, dans un impressionnant mausolée, entouré de ses principaux compagnons de l’aventure de Fiume. Le mausolée, sorte de Stonehenge du XXe siècle, surplombe le lac de Garde. C’est légèrement pompier, mais splendide quand même.
On ne peut pas trouver un ensemble monumental équivalent, en France. Il aurait fallu que Barrès achète par exemple la « colline inspirée » tout entière et la conçoive comme un monument à sa gloire et à la gloire de la France. Barrès est selon moi, et pour l’époque actuelle, plus intéressant écrivain que d’Annunzio. Mais il n’avait pas sa dimension épique.
En tout cas j’ai lu ce dossier avec passion. Bravo à l’équipe qui l’a conçu et réalisé. ! Rendez-vous peut-être l’été prochain au bord du lac de Garde ? Agitez votre numéro de Livr’arbitres au-dessus de votre tête, pour que je vous repère.
Madeleine Cruz
Livr’arbitres n° 45, mars 2024, 158 p., 13€ + port. Chez Patrick Wagner, 36 bis rue Balard ; 75015 Paris, livr-arbitres@outlook.fr
Madeleine cruz a raison la partie passionnante de la vie de d’Annunzio est sa vie de condottiere, d’aventurier d’homme de guerre. Il fut en mai 1915 a l’initiative d’un mouvement « le mai radieux » qui fit entrer l’Italie du côté des anglais et français alors qu’initialement elle faisait partie de la Triplice. Fiume fut une épopée extraordinaire au sens premier du terme mais politiquement n’apporta pas grand chose à l’Italie sinon une légende forgée par les arditi qui préfigurera le fascisme. Mussolini et d’Annunzio ne s’appréciaient guère même si ensuite pour des raisons politiques le Duce le portera au pinacle mais les personnages étaient par trop différents. Madeleine cruz semble ne pas comprendre l’attrait des femmes pour D’Annunzio. Ce n’est pas la première fois pourtant que dans l’histoire un personnage laid a du succès. Je pense qu’elles étaient attirées par sa personnalité hors norme, sa volonté inflexible, son allant, mais c’était aussi une autre époque . Il vivra longtemps en France avant la première guerre, il était criblé de dettes mais il trouvait souvent une égérie pour le financer. Heureux homme !
Dans un registre un peu particulier, Gabriele d’Annunzio s’est aussi essayé à un genre à la fois théâtral et musical : le mystère du Martyre de Saint-Sébastien, dont la partie musicale a été composée par Claude Debussy. Il s’agit d’une oeuvre un peu originale, et qui mérite d’être connue.