Entretien avec Louis Furiet, auteur du livre L’Europe-civilisation avant l’Europe de Bruxelles aux éditions de L’Æncre.
(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul).
Professeur de philosophie, rédacteur en chef de la revue Écrits de Rome, Louis Furiet s’intéresse plus particulièrement à la critique de la Modernité.
« Qu’avons-nous hérité d’Athènes, de Rome et du christianisme en termes d’être-au-monde ?
Qu’est-ce donc que l’européanité ? »
Votre livre se veut un appel à défendre l’Europe. N’est-ce pas audacieux à un moment où l’Union européenne semble être plus que jamais l’ennemie de nos peuples ?
Évidemment, l’Europe de Bruxelles nous a, jusqu’à présent, davantage nuis que servis. Mais il faut regarder la réalité en face. La mondialisation – dont nous sommes obligés de prendre acte – met en concurrence, non de simples nations, mais des États civilisationnels de type néo-impérial – songeons à la Chine, à la Russie ou à la Turquie. Or, face à de telles entités politiques, de petites nations sont vouées à l’impuissance. Par ailleurs, les nations européennes sont plus que jamais confrontées aux mêmes problèmes, à commencer par l’immigration massive et l’insécurité collective qui en résulte. Enfin, et surtout, elles possèdent, de par leur histoire, un commun supérieur à leurs différences, aujourd’hui menacé à la fois par l’américanisation et l’immigration subméditerranéenne.
Pour ces raisons, une certaine unité européenne me semble nécessaire. Certes, les nations européennes n’ont aucune raison de rester soumises à l’actuelle tyrannie des Juges. Toutefois, il serait plus judicieux qu’elles transforment l’Union en un outil au service de leurs intérêts communs et de la protection de leurs frontières et de leur identité, plutôt qu’elles se séparent – d’autant que l’Union correspond, à peu de choses près, à l’espace civilisationnel européen.
Justement, qu’entendez-vous par l’expression « Europe-civilisation » ?
La chose est communément admise : notre civilisation européenne est fondée sur un triple héritage, grec, romain et chrétien. Ma démarche, dans la première partie du livre, se veut avant tout philosophique : qu’avons-nous hérité d’Athènes, de Rome et du christianisme en termes d’être-au-monde ? Qu’est-ce donc que l’européanité ?
Des Grecs, nous avons hérité un idéal anthropologique qui est celui de la magnanimité, ou grandeur d’âme, notion que l’on doit à Aristote (et que j’ai longuement abordée dans mon précédent livre, Pour une révolution aristocratique). Cet idéal aristocratique, partagé par l’ensemble des cultures européennes, fut incarné par leurs élites à l’heure de leurs apogées respectives : songeons au galantuomo italien, à l’hidalgo espagnol, à l’honnête homme français ou au junker prussien. Des Latins, nous avons retenu ce que j’appelle la romanité, c’est-à-dire une tension vers l’Universel – dont l’Empire romain a été le fruit le plus impressionnant – mais enracinée dans la terre de nos pères, loin des faux universalismes modernes. C’est cette tension vers l’Universel qui a donné tant les grandes découvertes que la colonisation, laquelle est objectivement une gloire : l’Européen est celui qui a posé le pied sur tous les continents. Enfin, du christianisme, nous avons hérité la quête de transcendance, se manifestant aussi bien dans l’agir – la charité sans limite à laquelle nous appelle le Christ : quelle civilisation a produit autant de saints ? – que dans les réalisations extérieures – nos églises, et singulièrement nos cathédrales gothiques.
En bref, l’Européen est celui qui désire aller toujours plus haut, toujours plus loin. Prenons la civilisation qui nous est la plus opposée géographiquement, et qui est en même temps, avec la nôtre, l’une des plus anciennes et des plus prestigieuses au monde : la civilisation chinoise. Malgré certains parallèles qui peuvent être effectués, il y une différence majeure entre nos deux civilisations : la nôtre est, par nature, tournée vers l’extérieur, alors que la Chine se caractérise au contraire par une crainte du monde extérieur – crainte dont la Grande Muraille est l’expression la plus flagrante.
Mais ce désir d’aller toujours plus loin n’a-t-il pas été travesti depuis l’avènement de la modernité ?
Oui, il l’a été, principalement par l’esprit protestant, le progressisme des Lumières et l’universalisme libéral. Et c’est pourquoi je tâche, toujours dans ma première partie, de relever les limites de ces courants de pensée, surtout du libéralisme et de sa fameuse théorie d’une « fin de l’Histoire » : non, l’Histoire n’est pas terminée. Loin d’avoir épousé la démocratie libérale occidentale, la plupart des pays du monde retrouvent aujourd’hui leur identité. L’Europe n’a pas encore pris ce chemin, mais il me semble que c’est la seule issue possible – si toutefois l’Europe veut continuer à vivre.
Votre seconde partie se veut, elle, plus « programmatique » : pouvez-vous l’évoquer en quelques mots ?
En effet, dans la seconde partie du livre, je me fixe pour objectif de peindre, dans les grandes lignes, un projet politique cohérent pour l’Europe de demain. J’en reste toutefois aux idées : il ne revient pas au philosophe d’établir un programme précis.
Mes principales réflexions sont les suivantes :
1. Toute rénovation politique doit être précédée par une rénovation culturelle, intellectuelle.
2. Les patriotes des diverses nations européennes ne peuvent aujourd’hui se passer d’une défense commune de l’Europe-civilisation.
3. Il faut évidemment stopper toute immigration, mais, à moins que les millions de mahométans actuellement présents sur le sol européen ne partent tous – ce qui semble peu probable –, il faut aussi en finir avec l’idéologie égalitaire, laquelle nous empêche de les assimiler.
4. Les peuples d’Europe sont déchristianisés, et il est peu probable qu’ils retrouvent la foi demain, mais il est possible et vivement souhaitable qu’ils assument de nouveau leur héritage religieux.
5. Une véritable écologie ne peut être qu’intégrale – c’est-à-dire qu’elle doit être éthique, et viser autant la préservation des cultures que celle de la nature –, et une économie conforme aux exigences du temps, locale.
6. La démocratie, si elle veut subsister, doit redevenir organique, c’est-à-dire la fois réellement participative et exigeante.
7. L’européanité est d’abord un ethos, une attitude combative et ascétique : c’est cet ethos qu’il nous faut retrouver, individuellement et collectivement, pour que le reste soit possible.
Entretien avec Louis Furiet, auteur du livre livre L’Europe-civilisation avant l’Europe de Bruxelles aux éditions de L’Æncre, collection « Nouveaux enjeux du XXIe siècle », préface de David L’Épée, 150 pages, 19 euros. Pour commander ce livre, cliquez ici.
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