Les « Poèmes de Fresnes », constituent un trésor littéraire encore trop méconnu, même s’ils sont constamment réédités. La découverte, en ce printemps 2025 aux allures d’été, c’est que Robert Brasillach avait écrit, voire publié, bien d’autres poèmes. Selon la « Bibliographie générale des droites françaises » d’Alain de Benoist (volume 2), des « Poèmes » de Brasillach firent leur apparition en 1944 aux éditions Balzac. Ils constituaient déjà comme un avant-goût des « Poèmes de Fresnes », puisqu’ils évoquaient sa détention en Allemagne (entre juin 1940 et mars 1941).
Puis il y eut les fameux poèmes de Fresnes, parus sous le titre « Barreaux », aux éditions de minuit et demi, et signés « Robert Chénier », Robert comme Robert Brasillach et Chénier comme André Chénier. Cet opuscule ne comportait que treize poèmes, publiés à titre posthumes (septembre 1945).
La première édition légale des Poèmes de Fresnes, « pourvue d’un copyright régulier » date de 1949, sous l’intitulé éditorial des Sept Couleurs.
Alain de Benoist, en 2004, année de la parution de son travail de bibliographie de l’œuvre de Brasillach, avait répertorié à cette date 19 éditions successives : éditions clandestines, éditions pirates, puis éditions officielles. Ces poèmes ont rapidement rejoint ce que l’on pourrait appeler « les textes canoniques » de Robert Brasillach (Comme le temps passe, Histoire de la guerre d’Espagne, Les Sept couleurs, Les quatre jeudis, Notre avant-guerre …)
Depuis cette nomenclature de 2004, il y a eu bien d’autres éditions des poèmes. D’autant qu’en février 2015, soixante-dix ans après sa mort, l’œuvre de Brasillach est « tombée dans le domaine public », selon l’expression consacrée.
Aujourd’hui nous trouvons par exemple, dans le remarquable – et totalement inédit – album, en couleur et format BD – « A travers l’épuration », des poèmes de Fresnes, qui avaient été recueillis, illustrés, et diffusés (sans doute à un seul exemplaire !) derrière les murs de la prison dès 1945. Par la suite Les Sept Couleur ( qui était alors la maison d’édition montée par Maurice Bardèche), puis l’éditeur Plon et La Table ronde rééditèrent, à intervalles réguliers, ces poèmes, sans parler des œuvres dites complètes du Club de l’honnête homme.
Un moyen de communiquer par la pensée avec les détenus
Outre leur qualité intrinsèque, ce qui a fait, à l’origine, le succès des poèmes de Fresnes, c’est que l’épuration avait endeuillé des milliers de familles, et jeté dans les geôles de la IVe République des dizaines de milliers de personnes. En fait plusieurs millions de Français furent les victimes – directes ou indirectes – des sanglants règlements de comptes (légaux au pas) de ces années-là. D’innombrables familles vécurent la fin de la guerre et le début des années 1950 avec le poids des fautes supposées d’un ou de plusieurs proches, la peur que cela se sache dans l’environnement professionnel ou communal, mais aussi avec l’espoir, malgré tout, d’une libération, d’une amnistie, d’une cessation des interdits professionnels. Pour toutes ces familles, ces conjoints, ces enfants, ces frères et sœurs d’embastillés, la lecture (semi-clandestine) des poèmes de Fresnes constituait un moyen de communier par la pensée avec les détenus.
Se familiariser avec la géographie des prisons
Et puis il y eut la nouvelle rafle des années 1960 : les assassinats, les arrestations, les interdits professionnels, chez les défenseurs de l’Algérie française. La répression fut importante, même si elle n’eut pas l’ampleur de celle de 1944-45. Elle frappa beaucoup de Français, parfois les mêmes qu’en 1944, mais le plus souvent d’anciens héros des Forces Françaises Libres, des maquis, de la résistance. Et puis aussi les pieds-noirs, les musulmans patriotes français, parfois héros de la campagne d’Italie, et la génération de jeunes militants royalistes ou nationalistes, voire d’ex-gaullistes.
Des milliers de familles apprirent à leur tour, dans ces années-là, à se familiariser avec la géographie des prisons : la Santé, les Baumettes, Toul, Toiras sur l’île de Ré… C’est pour eux (aussi et peut-être d’abord) que la SERP, la maison de disques créée dans ces années-là par Jean-Marie Le Pen et ses amis, dont Pierre Durand, avait enregistré les « poèmes de Fresnes dits par Pierre Fresnay », et « Lo Cicéro chante Brasillach ». Ces poèmes, ces airs, toute une nouvelle génération les a récités et chantés. Elle ne connaissait pas grand-chose de Brasillach, mais les paroles du poète renvoyaient au sort d’un père, d’un grand frère, d’un oncle…
« Vienne la nuit que je m’embarque,
Loin des murs que fait ma prison :
Elle suffit pour qu’ils s’écartent,
Je retrouve mes horizons.
Que m’importe si l’on me parque !
La nuit abat toutes cloisons. »
De nombreux poèmes inédits
C’est seulement maintenant, en fait, qu’on découvre que l’œuvre poétique de Robert Brasillach ne se limitait pas aux poèmes écrits à Fresnes, dans l’attente du bourreau.
L’ouvrage intitulé « Les poèmes », qui vient d’être publié aux « Sept Couleurs », la jeune maison d’édition de l’Association des Amis de Robert Brasillach, compte plus de 300 pages, alors que les « Poèmes de Fresnes » se présentaient le plus souvent comme de minces plaquettes, quels qu’en soient d’ailleurs les éditeurs. Cette édition comporte – cela mérite d’être signalé d’emblée -, de nombreux poèmes inédits, ce qui donne à cet ouvrage un caractère fondamentalement nouveau au regard de toutes les éditions précédentes : On trouve en effet d’abord une trentaine de poèmes ou de fragments de poèmes, écrits entre 1922 et 1927, puis, classés en tant que « poèmes d’avant-guerre », une quinzaine d’autres poèmes qui n’avaient pas eu vocation à être publiés, jusqu’à ce jour. Brasillach lui-même en avait peut-être jugé ainsi. Ou bien il s’agissait d’ébauches, de textes figurant dans des cahiers de brouillon.
Comme pour Céline, l’intérêt que suscite dorénavant Brasillach pousse les spécialistes à rechercher des inédits, ou des textes oubliés, n’ayant figuré que dans quelques improbables revues éphémères.
En l’occurrence nos explorateurs littéraires ont même fait plus fort : ils ont par exemple trouvé six lignes poétiques écrites par Brasillach dans le livre d’or du sculpteur Arno Breker, à l’occasion d’une visite à Berlin. Si Breker ne les avait pas reproduites dans son livre de souvenirs (Paris, Hitler et moi), il n’en serait resté nulle trace.
Dans certains de ses romans, Brasillach avait intégré des poèmes ou des bribes de poèmes. Ce que l’on pourrait appeler des « poèmes de romans ». Un travail de relecture de son œuvre menée par les concepteurs du livre que nous présentons aujourd’hui a permis de repérer de tels poèmes dans plusieurs d’entre eux : « Le voleur d’étincelles », « L’Enfant de la nuit », « Comme le temps passe », « Domrémy ».
C’est un procédé littéraire peu pratiqué car risqué pour l’auteur, qui peut être un talentueux romancier…mais se révéler incapable d’écrire autre chose que des vers de mirliton. Brasillach en avait pris le risque. C’est inattendu mais pas incongru de les avoir repris dans ce volume.
L’éblouissante préface de Cécile Dugas
Tout cela contribue à donner de la consistance, de l’épaisseur, à ces « Poèmes », au livre, bien entendu, mais aussi, plus globalement, à l’œuvre poétique de Brasillach, considérée trop souvent comme « conjoncturelle ».
Vous l’avez compris : tout ceci nous éloigne très fortement de l’idée que ces « Poèmes » ne seraient que les simples rééditions de « Poèmes » (1944) et des « Poèmes de Fresnes » (à partir de 1946), munis en l’occurrence d’une préface savante. C’est un autre livre, en fait, qui comporte certes les « Poèmes » publiés en 1944 et les fameux « Poèmes de Fresnes », mais qui approfondit notre connaissance du poète Brasillach. En cela il est essentiel pour toute personne qui se pique de bien connaitre l’homme et l’œuvre, qui se passionne pour cet auteur.
Terminons par la préface, l’éblouissante et très érudite préface de Cécile Dugas. Je n’avais pas voulu la lire avant d’avoir lu ou au moins parcouru l’ouvrage lui-même, histoire de ne pas me faire influencer.
La préfacière nous rappelle d’abord que « la poésie est un genre que Brasillach a pratiqué très tôt, dès sa treizième année ». J’aurais même tendance à dire, pour ma part, que c’est vers l’âge de treize ans que tous les enfants – au moins beaucoup d’entre eux – se mettent à pratiquer la poésie, la fête des mères constituant l’occasion la plus fréquente.
C’est pour la fête de sa sœur Suzanne (qui deviendra l’épouse de Maurice Bardèche) que Brasillach s’est lancé dans la versification. Mais bien évidemment Cécile Dugas démontre que, très rapidement, le jeune homme va s’imposer dans ce genre. Elle rappelle que dés 1955 Jean Madiran avait identifié cette face de son talent : « Le jour où l’on recevra Brasillach poète au temple des valeurs reconnues, il fera le vide dans tout un chapitre de notre histoire littéraire ». Elle cite aussi l’auteur du livre « L’Epuration et les poètes », Léon Arnoux, qui attribue à Brasillach le titre de « prince » des poètes maudits.
« le poète des maudits et de tous les persécutés »
En refermant ce magnifique ouvrage, qui serait digne d’entrer tel quel dans la collection de La Pléïade, où Brasillach trouvera forcément sa place, un jour, on se dit en effet que parler de Brasillach en évoquant « le poète fusillé » n’est pas une simple figure polémique.
Certes il n’a pas été fusillé parce qu’il était poète ; mais André Chénier n’a pas non plus été guillotiné parce qu’il était poète. Ce qui est certain, c’est que Brasillach était un poète, un grand poète, « le poète des maudits » et de tous les persécutés, quelles qu’aient été leur camp d’appartenance. Aujourd’hui, c’est cela qui compte, cela seul, serais-je tenté d’écrire.
Sur ce plan, le livre « Les poèmes » est donc un ouvrage plus qu’essentiel.
Agathon
Les poèmes, par Robert Brasillach, préface de Cécile Dugas, Les sept couleurs, 306 p.
