Notre cher Jean Raspail nous a quittés il y a tout juste cinq ans. Un triste anniversaire, bien entendu, mais aussi une bonne date pour se poser la question : que restera-t-il de l’auteur de Moi Antoine de Tounens ? Passera-t-il à la postérité malgré le quadruple échec pour un siège à l’Académie française, et malgré une prédiction négative bien antérieure de l’académicien François-Poncet ?
De nombreuses publications, notamment le Hors-Série de Valeurs actuelles sur les écrivains voyageurs, et le dernier numéro de Livr’arbitres rendent hommage à l’homme et saluent l’œuvre. Et puis il y a cette première biographie : Jean Raspail, aventurier de l’ailleurs, qui vient de paraitre chez Albin Michel. Il semble bien que la Patagonie ait encore de beaux jours devant elle !
Raspail dans La Pléiade ?
« L’un de mes amis, qui venait tout juste de finir la lecture de cette biographie, m’avait envoyé une « note de lecture » que je partage avec vous :
« Intéressant. Hemsen a fait un bon travail. Son avant-propos et son chapitre de conclusion ont du style et de la profondeur. La préface d’Érik Orsenna est pareillement intéressante.
Mais l’essentiel du livre est très « linéaire ». Même en suivant cette façon de rédiger (on ne peut pas reprocher à un biographe de raconter son personnage de la naissance à la mort !), il aurait pu approfondir et donner une compréhension critique des différents aspects de la vie de Raspail. Il reste encore de la place pour une autre approche du personnage :
-une lecture de ses idées politiques, de ses engagements publics, de son refus de se perdre dans des actions pétitionnaires à répétition, de ses relations avec les personnages publics, de ses convictions personnelles (GRECE, PFN, catholicisme), de la façon dont il a été perçu par le monde des lettres, par celui de la politique ;
-une étude de son style, des auteurs qui ont constitué son environnement littéraire, de ceux qui l’ont influencé ou marqué, de l’influence qu’il a eu dans la littérature. Il ne se définissait pas comme un penseur mais comme un romancier, un homme de lettres ce qui ne l’empêchait pas d’avoir des initiatives marquantes. Le 21 janvier 1993, je me souviens m’être rendu place de la Concorde à la belle manifestation qu’il avait organisée et y avoir rencontré des personnes que je ne m’attendais pas à voir en pareille circonstance (Yvon Chotard par exemple).
Les écrits de Hemsen en parlent mais cela est distribué de façon éparse. Une étude sur Raspail et sa « trace » dans le siècle aurait été intéressant à lire.
Il manque aussi un tableau de sa généalogie ascendante et descendante, un index des noms cités (dont le tien, à deux reprises), de la liste de toutes ses œuvres avec les dates d’édition. »
Et mon ami qui, sans être vice-consul de Patagonie n’en a pas moins une excellente connaissance de l’œuvre de Raspail, concluait : « A quand une édition des œuvres complètes de Raspail dans la Pléiade, après l’édition déjà réalisée d’une partie de ses œuvres dans la collection Bouquins ? » A la réflexion Raspail en Pléiade consacrerait bien davantage l’écrivain que ne l’aurait fait son élection à l’Académie française.
Je pensais voir la signature de Sylvain Tesson, d’Alain Sanders ou de François Tulli
Globalement je trouve l’analyse de cet ami pertinente quoiqu’un peu sévère à l’égard de Philippe Hemsen et un peu indulgente pour la préface d’Erik Orsenna. J’avoue que je ne m’attendais pas à trouver Orsenna en préfacier de cette biographie bienveillante. Je pensais plutôt voir la signature de Sylvain Tesson, d’Alain Sanders ou de François Tulli. J’ignorais même qu’Orsenna, que je savais proche de Mitterrand dont il avait écrit un temps les discours, groupie de François Hollande, mais passionné aussi de Tintin, considérait Le camp des saints comme un chef d’œuvre, ce qu’il écrit noir sur blanc dans cette préface. Alors que Le Nouvel Observateur définissait Le camp des saints comme « un nanar d’épouvante », « authentique morceau de névrose raciale ».
Ce qui n’empêche pas Orsenna de nous assener, à la fin de sa préface, les pires formules du prêt-à-penser, comme celle-ci : « L’immigration, que nous le voulions ou non, va continuer de s’amplifier, pour des raisons économiques, guerrières ou climatiques ». Ou encore « Car ici, en tant d’autres endroits, ce sont les Occidentaux, les Blancs qui envahissent ». Mais qu’est-ce que la couleur de la peau a à voir avec les données géopolitiques ou climatiques ? Découvrir ces lignes dans la préface d’une biographie de Raspail, c’est comme un crachat sur sa tombe. Un crachat comparable à celui qu’avait constitué l’avant-propos négatif du PDG des éditions Robert Laffont à la réédition du Camp des saints en 2011. Un éditeur qui déjuge son auteur ? Un éditeur qui semble vouloir mettre en garde contre la lecture de ce roman ? Incroyable et grotesque !
La cohérence globale de l’oeuvre
Après ces critiques, marques d’une déception, concluons néanmoins sur le fait que cette biographie nous fait toucher du doigt la cohérence globale de l’œuvre de Raspail, et surtout nous donne envie de relire certaines de ses œuvres parfois considérées comme mineures, par rapport au cycle patagon, au cycle Pikkendorff. Je pense à La hache des steppes, aux Hussards, à L’île bleue, à ses enquêtes chez les Indiens d’Amérique, aux Antilles et aux Caraïbes, ou encore à ce livre si drôle : Bienvenue honorables visiteurs, connu aussi sous le titre Le vent des pins.
C’est donc un livre utile. Mais « il reste encore de la place pour une autre approche du personnage », comme le dit cet ami. Nous attendons d’autres essais, d’autres biographies, qui concourront à donner à l’œuvre de Jean Raspail la place qu’elle mérite dans le monde littéraire, dans le monde des idées et, hélas, avec Le camp des saints, dans la littérature d’anticipation, car ce livre « décrit une anticipation qui ne l’est pas », comme lui avait écrit Lionel Jospin. Ah le double langage des homme de pouvoir !
Francis Bergeron
Jean Raspail. Aventurier de l’ailleurs, par Philippe Hemsen, Albin Michel, mai 2025
