A cinq jours du sacre de Charles III, qui a eu l’audace de jeter des cartouches à travers les grilles du palais de Buckingham ? Scotland Yard et le MI5 sont sur les dents car les pistes ne manquent pas, entre les Irlandais soupçonnés d’être prêts à perdre une main, voire la vie, en « préparant un cadeau d’anniversaire pour la reine d’Angleterre » (ou son descendant) comme l’un des personnages du Dedalus de James Joyce, les opposants de plus en plus nombreux à la monarchie (« Not my king », proclament des pancartes vues lors des sorties du nouveau roi) et les fous d’Allah tentés de faire un coup d’éclat, sinon d’État, à la faveur de la retransmission télévisée mondiale de l’événement.
Priorité à la « diversité »
Pourtant, le souverain a pris ses précautions. Lui qui, enfant, fut circoncis par le grand mohel (sacrificateur) du royaume selon la tradition observée pour tous les hommes de la famille royale britannique depuis le règne de George 1er de Hanovre au XVIIIème siècle si l’on en croit la Jewish Chronicle, journal le plus lu de la communauté juive d’outre-Manche depuis sa fondation en 1841, a en effet choisi un sacre très new-look. Couronne, sceptre et globe de cristal seront bien sûr de sortie mais, annonçait le 29 avril l’archevêque de Canterbury, Justin Welby, « pour la première fois des représentants des religions juive, hindouiste, sikhe, musulmane et bouddhiste joueront un rôle actif pendant la cérémonie » du sacre. Certes, le 6 mai et comme ses prédécesseurs, Charles III fera serment de « défendre la foi » protestante et de « protéger l’Église d’Angleterre » dont il est le gouverneur suprême, mais rabbins, bonzes, brahmanes et surtout imams et mollahs se diront « unis avec les personnes de toutes les fois et de toutes les croyances dans l’action de grâce et dans le service [du monarque] pour le bien commun ».
Autant d’innovations destinées à « refléter la diversité de notre société contemporaine » cf. Mgr Welby, lui-même d’origine juive, son père étant né Weiler. Une diversité incarnée au plus haut niveau par le Premier ministre anglais Rishi Sunak et par son homologue écossais, le musulman pakistanais Humza Haroun Yousaf (1), mais quid des popes orthodoxes et surtout du clergé catholique qui compte pourtant plus de six millions de fidèles au Royaume-Uni sous la houlette de Vincent Nichols, cardinal-archevêque de Westminster?
Autre nouveauté, des textes seront lus dans les langues « indigènes » de Britannia, le gaélique écossais, le gaélique irlandais et le gallois, que Charles III est le premier roi à pratiquer depuis Harri Tudur, mieux connu comme Henry VII Tudor (et dernier souverain européen à parler… breton !), après avoir tenu à l’apprendre quand il était prince de Galles. Titre qu’il porta pendant plus de septante ans avant d’accéder au trône, battant ainsi le record de son trisaïeul Edouard VII issu de la maison de Saxe-Cobourg et Gotha, opportunément rebaptisée Windsor pendant la Première Guerre mondiale.
Écolo mais réac
Si sa mère fut couronnée très jeune, Charles est largement septuagénaire. Aura-t-il la force, le courage et le charisme nécessaires ? Si Elizabeth II, ainsi que la monarchie, échappa longtemps aux critiques malgré ses errements (telle son opposition constante à l’Afrique du Sud blanche et à la Rhodésie) car elle était « un « charming symbol », un vieux monarque ne saurait s’attendre à tant d’égards.
On le dit fidèle en amitié et en amour — son interminable idylle avec Camilla, finalement épousée en 2005, en témoigne —, agréable causeur, érudit et plein d’humour, écologiste de la vieille école, mélomane averti, amateur passionné de peinture et d’ailleurs doué d’un certain talent d’aquarelliste, féru d’architecture, métier qu’il aurait choisi s’il n’avait pas été destiné au trône. Et qu’il a d’ailleurs exercé en créant il y a trente ans sa (petite) ville de Poundbury dans son duché de Cornouailles où il a imposé l’agriculture raisonnée.
Un lieu dont, en rupture avec tous les codes urbanistiques actuels, sont bannis fer, béton, aluminium, gratte-ciel ou marquages au sol sur les rues soigneusement pavées, construit dans un style assez kitsch mélangeant influences géorgiennes, Régence et victoriennes et où le localisme est de règle dans la construction, les boutiques ou les restaurants. « Un rêve de réac », ricanent ses adversaires, mais qui semble plaire : sans terrasses ni baies vitrées, les appartements s’y sont vendus comme des petits pains et les résidents s’en disent très satisfaits.
Il y a cependant un abîme entre une cité provinciale de 7000 habitants et un pays arc-en-ciel abritant 67 millions de bipèdes dont une bonne partie venue d’ailleurs n’a pas la moindre idée de ce qu’a pu être la Merry England, et n’aspire donc pas à la ressusciter. On va beaucoup chanter le God save the King en cette fin de semaine, mais rien ne dit que le règne de Charles — sur le prénom duquel pèserait une malédiction, depuis Charles 1er Stuart décapité en 1649 et son descendant le Bonnie Prince Charles qui échoua au siècle suivant à reconquérir le trône — sera aussi happy and glorious que le promet l’hymne britannique.
Camille Galic
(1) https://nouveaupresent.fr/2023/03/30/ladieu-aux-celtes-et-aux-angles/