Qu’as-tu fait de ton baptême, de tes églises à moitié désertées, à moitié en ruines à l’image d’un pays affolé par un ensauvagement certain ?
Que reste-t-il si ce n’est la mémoire des noms de nos villes et villages, des saints du calendrier, des calvaires au bord des routes de campagnes, des fromages et des bières d’Abbaye, des mariages et des enterrements pour le verre à moitié vide. Pour celui à moitié plein, il y a le formidable engouement pour le pèlerinage de Compostelle, de même récemment pour celui de Chartres dans les pas de Charles Péguy, avec une jeunesse débordante de joie et de force; Henri le héros scout qui a bravé le pire, armé d’un sac à dos et demain les Journées mondiales de la Jeunesse à Lisbonne.
L’Eglise malgré ses mauvaises pierres reste un phare pour de nombreuses brebis égarées. Ainsi pour Charles Wright qui, en quête de sens pour sa vie, s’est lancé dans une longue marche, démuni au sens matériel mais riche de petits rien : ces rencontres, ces joies et ces tourments à la source de notre humanité.
Le chemin des estives, c’est un peu le Chemin noir de Tesson mais version catho ! On y arpente le GR4, sentier de grande randonnée reliant l’Atlantique à la Provence, sac à dos, pour 4 semaines sans téléphone, carte bleue ou tente… Partis d’Angoulême, l’auteur et un compagnon de route s’engagent direction le Massif central et l’abbaye Notre-Dame-des-Neiges où s’établit un temps Charles de Foucauld, prenant la tangente comme on prend le maquis. Wright et Parsac sont en quête d’engagement, en noviciat plus exactement chez les jésuites. Leur projet immédiat : choisir librement de choisir le Christ avec un temps de discernement. Au fil des jours le paysage évolue, le corps s’habitue à avaler les kilomètres. La marche est propice à la réflexion, à la marche du monde, à ce qui nous dépasse, nous élève, nous avilie : « trouver une voie pour exister dans un monde trop adulte ». Le plus difficile reste d’assumer une démarche peu commune, voyager sans le sou. Il s’agit d’aller à la rencontre de l’autre afin de quémander un toit le temps d’une nuit ou de quoi se sustenter pour la journée. En travaillant son humilité, car les refus sont nombreux, en se concentrant sur l’essentiel, nos deux pèlerins cahin-caha s’enfoncent en eux-mêmes pour faire jaillir la lumière enfouie par la médiocrité d’un quotidien blafard. Pour les guider, deux êtres de feu que l’on voudrait opposer et que pourtant tout rassemble : Charles de Foucauld et Arthur Rimbaud, des êtres qui quittent leur pays et partent pérégriner dans des terres inconnues, deux destins météoriques et une propension à faire de leurs blessures intimes le combustible de grandes choses.
Au-delà du cheminement, du paysage et des rencontres, c’est la réflexion, le questionnement qui agitent l’auteur, nous entraînant à sa suite dans sa réflexion, la partageant avec nous, la faisant mûrir. Un beau voyage au bout de notre nuit !
Patrick Wagner (www.livrarbitres.com)
Charles Wright, Le chemin des estives, Editions Flammarion, 2023.