Dans un article remarquable intitulé : « Emeutes urbaines de 2005 : ces faits accablants qu’on n’a pas voulu voir » publié dans le Figaro Vox du 8 juillet 2023, Guillaume Perrault revient très en détail sur les circonstances de ces guérillas sans précédent qui avaient surpris la France du chiraquisme triomphant, à la suite de la mort par électrocution de Zyed et Bouna qui fuyaient des policiers de la BAC et qui avaient touché un transformateur EDF après avoir escaladé un mur d’enceinte, alors que les policiers n’étaient pas allés au contact et attendaient les fuyards à la sortie. Deux fonctionnaires seront poursuivis pour « non-assistance à personne en danger » et relaxés.
Guillaume Perrault rappelle la paralysie politique de l’époque, paralysie qui nous en remémore étrangement une autre, celle d’aujourd’hui, et ce comme si aucune réflexion sérieuse n’avait eu lieu. Déjà en 1986, sous Chirac premier ministre, les autorités d’alors avaient tout lâché suite à la mort d’un manifestant anti-Devaquet, Malik Oussekine, fait divers monté alors en épingle par la gauche, avec la complicité de François Mitterrand, trop heureux de voir un Chirac se liquéfier à vue d’œil, lors de la première cohabitation.
Il compare cette liquéfaction, avec les réactions affolées de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur en 2005, qui « hanté par la perspective d’un mort parmi les émeutiers qui l’assimilerait-à tort ou à raison- à la « bavure » dont un étudiant, Malik Oussekine, avait été victime en 1986 » avait la trouille de voir sa future candidature à l’élection présidentielle foudroyée en plein vol.
Pourtant, Nicolas Sarkozy avait multiplié peu de temps auparavant des paroles fortes. Il avait promis de nettoyer « au Karcher » la cité des 4000 à La Courneuve en juin 2005, suite à la mort d’un enfant de 11 ans touché par une balle perdue lors d’un règlement de compte. Et encore en octobre 2005, un mois avant les émeutes, il avait juré qu’il lutterait contre « la racaille ». Et l’on verrait ce que l’on verrait…selon la belle formule « retenez moi ou je fais un malheur ».
En 2005, le gouvernement s’était résolu, après des jours et des jours d’atermoiements, à décréter l’état d’urgence. Mais Guillaume Perrault pointe la faiblesse de l’Etat qui ne put envoyer alors que 8000 hommes, au plus fort des émeutes d’une violence inouïe « pour renforcer leurs collègues déjà en première ligne ». Cette faiblesse est toujours présente, peut-être plus que jamais.
Pour les sociologues Hugues Lagrange et Macro Oberti, des jeunes originaires du Sahel, issus de familles nombreuses étaient surreprésentés parmi les émeutiers, Emeutes urbaines et protestations-une singularité française, Presses de Sciences Po, 2006.
Mais, le plus intéressant dans cette histoire française, c’est qu’en 1998, il y a 25 ans, un journaliste du Point, Christian Jelen, disparu cette année-là, après avoir effectué un travail de terrain de près de deux ans, avait publié, La guerre des rues, la violence « des jeunes » chez Plon. Il écrivait en avant-propos, une réflexion déjà prémonitoire : « On ne peut résoudre un problème en le posant mal ou en omettant un certain nombre de ses paramètres. C’est pourtant ce qui se passe depuis des années avec les violences urbaines. » Visiblement, Monsieur Darmanin persiste et signe dans cette attitude.
Dans ce livre, Jelen, analyse en autres, l’influence de la polygamie sur l’éducation des enfants, que l’Etat et la justice française ont trop longtemps tolérée. Comme l’avait magnifiquement souligné Jean François Revel, patron du Point et ami de Christian Jelen : « La peur d’être taxé de racisme a donc conduit les responsables politiques, depuis deux décennies, à escamoter le nœud de la difficulté, toujours par peur d’être assimilés au FN », Le Point, 23 janvier 1999.
Décidément, 25 ans après, sous les Macron, Borne, Darmanin, Dupond-Moretti, Pap Ndiaye, rien n’a changé, sauf en pire, et ce commentaire avisé de Jean- François Revel pourrait être réécrit in extenso. C’est pourquoi aussi, les propos « musclés » de nos Ciotti, Lisnard, Wauquiez et autre LR sont suspects et entachés d’un sentiment de « déjà entendu ».
Michel Festivi